Fanny & Robert-Louis Stevenson aux Marquises

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        « Mais l’instant le plus intense de ce long voyage initiatique, celui qui bouleversera à jamais leurs sens et leurs consciences, ce ne sera pas la surprise des plages noires de Tahiti, ni la splendeur de l’aube hawaïenne quand les têtes tourmentées des cocotiers mouchettent de noir l’orange lavé du ciel, quand le soleil surgit entre les troncs de la palmeraie pour embraser les bandes de brouillard qui courent vers les brisants… Ce ne sera pas non plus les crépuscules en haute mer, les rayons rouges, criards, invraisemblables, les nuages qui pèsent sur le Pacifique comme de gros tampons d’ouate trempés de sang caillé… Non. La vision qui va les enchaîner, c’est une pâle fantasmagorie de brume et de rochers. Nuku Hiva, leur première escale. L’émotion d’une première expérience ne peut se répéter. Le premier amour, le premier lever de soleil, la première île du Pacifique restent à jamais des souvenirs à part, ils touchent à la virginité des sens, écrit Stevenson.

        Sa première île, Fanny l’aperçoit à quatre heures du matin le 28 juillet 1888. Nuku Hiva, l’une des Marquises, dont les Stevenson ne connaissent que ce que Herman Melville en a raconté… Nuku Hiva, tenue par les Français et peuplée jusqu’en 1885 des cannibales les plus féroces de toutes la Polynésie… Nuku Hiva la brèche verte sur une culture dont chacun à bord ignore tout, dont chacun se souvient seulement que, moins de trois ans plus tôt, les hommes y dévoraient leurs semblables.

        Des centaines de pirogues cernent le Casco. Une horde d’indigènes monte à l’abordage et se répand à jet continu sur le pont. Ils vocifèrent en brandissant leurs marchandises, bousculent les passagers, en viennent aux insultes quand ils comprennent que leurs noix de coco, leurs régimes de bananes, leurs nattes, leurs paniers, aucun des Blancs ne veut les acheter.

        Tante Maggy ne cille pas sous les mains des femmes aux seins nus qui tirent brutalement les tuyaux de sa coiffe, lui palpent les jupes et lui retirent ses mitaines. Il est impossible de croire que ces gens-là ne sont pas totalement habillés avec leurs superbes tatouages, commente sa bru avec placidité. Fanny se souvient-elle de son expérience avec les Piutes d’Austin et les Shoshones de Virginia City ? Est-ce par fidélité au passé, à sa sympathie, à son respect d’antan, qu’elle décide d’offrir – et non de vendre-, d’offrir au chef et à ses femmes les rideaux de velours pourpre du carré et les meubles qu’ils convoitent ? Dès que les Marquisiens comprennent le sens des gesticulations de Louis et de Fanny, leur agressivité se transforme en rires et en piaillements de joie.

        Le Casco restera plusieurs semaines ancré dans la baie : il repartira chargé de présents. Je n’avais pas rêvé que puissent exister de pareils lieux, de pareilles races ! s’exclame Louis.

        Extrait de Fanny Stevenson Entre passion et liberté d’Alexandra Lapierre Pages 459 & 460 Roman Editions Pocket 1995 ; Editions Robert Laffont  1993 ; Grand Prix des lectrices de « Elle » 1994.

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