
Trois fois six pieds sous terre
À cette époque, Tama habitait avec ses frères et sœurs dans une maison située près de la baie de Tahauku. Le tsunami s’est produit le 1er avril 1946. Quand l’alerte a été donnée, beaucoup ont pensé à une farce, un poisson d’avril, comme il est courant d’en faire à cette date. La baie s’est entièrement vidée de ses eaux. Même à l’entrée du port, on pouvait voir le fond de la mer. Les gens se sont alors réfugiés sur les hauteurs avoisinantes.
Tama, âgé de huit ans à l’époque, se trouvait avec sa grand-mère. Sa maman, Pepe, a également quitté la maison emportant dans ses bras sa dernière-née. Mais croyant que ses voisins étaient encore chez eux et pour récupérer quelque chose, la maman est redescendue chez elle avec le bébé qu’elle a déposé sur la terrasse juste avant d’entrer chez elle. C’est alors que la vague a déferlé sur la maison, l’engloutissant avec ses occupants. “Nous étions de l’autre côté de la baie et nous sommes plusieurs à avoir vu la vague remonter la baie. De sa maison, Pepe n’a rien vu car des rochers lui bouchaient la vue vers l’entrée de la baie. Nous lui avons crié de partir, mais nous étions trop loin et elle n’a rien entendu.”

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La maman et le bébé furent les seules victimes de ce tsunami. Elle ne fut jamais retrouvée mais le corps du bébé fut découvert de l’autre côté du canal du Bordelais sur la plage de Oehau (Tahuata). L’enfant fut enterré par les habitants de Motopu. Trois jours après le tsunami, un certificat de décès fut établi au nom de Pepe, puisque des témoins pouvaient confirmer sa disparition.

Baie de Motopu en 2007
En 1970, un Marquisien effectue des travaux avec un tractopelle – une case comme les appelle ici – près de la plage d’Atuona. Il découvre alors les restes d’un corps. “Il était enseveli sous à peine trente centimètres de sable, allongé parallèlement à la mer, sur le dos. Ce sont ses longs cheveux qui m’ont fait tout de suite penser à la femme qui avait disparu ce premier jour d’avril 46. Après le tsunami, tout cet endroit près de la plage dégageait une odeur putride à cause de tous les poissons morts ; personne ne s’est aperçu de rien.”
Après cette funèbre découverte, “ J’ai prévenu les autorités. Il n’y avait pas de gendarmerie à Hiva Oa en 1970 et la famille de Pepe avait quitté, deux ans après le drame, les Marquises pour les Tuamotu. J’ai vu le mutoi et ne sachant pas quoi faire, nous avons décidé d’enterrer le corps un peu plus à l’écart du chemin. Nombreux encore étaient les Polynésiens enterrés chez eux dans leur jardin à cette époque.”
Puis on n’y pense plus.

Nuit sur Hanake
Les années passent et Tama revient en 2008 à Atuona pour le baptême de son arrière-petit-fils. Bien sûr, il se souvient de ce tragique événement qui l’a profondément marqué dans sa jeunesse. On lui parle du corps découvert il y a une trentaine d’années.
Le Marquisien qui avait trouvé la dépouille n’a rien oublié et il les conduit exactement à l’endroit de sa découverte en 1970, puis à quelques mètres de là, sous un vieux purau où les os rassemblés furent ensevelis.

La croix du petit cimetière du Calvaire à Atuona
On demande au propriétaire actuel du terrain l’autorisation de creuser, on confectionne une boîte, on rassemble les restes, on les dépose dans ce petit cercueil improvisé.
On va voir le maire de la commune afin d’obtenir la permission d’inhumer dans le cimetière communal. Problème, la loi interdit de déterrer un corps sans autorisation. Mais quand le maire le rappelle, Tama répond que les restes du corps sont déjà à l’arrière du pick-up, dans une boîte. Trop tard ! Le maire accorde finalement une concession dans le cimetière. “Si son fils n’était pas revenu, jamais on n’aurait retrouvé sa maman.”

Port Tahauku
D’après l’article de La Dépêche de Tahiti / Copyright Gérard Guyot 10/08/2008 ou pepe.1221625350.doc
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