Îles Marquises : Des mots sur les blessures, réflexions suite à « Instantanés du Monde » une émission radiophonique

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Instantanés du Monde, une émission radiophonique extraordinairement merveilleuse. Une voix sublime, une écriture poétique, une illustration sonore qui nous transporte instantanément. Mieux que l’image photographique qui cadre notre vision, la bande son nous fait humer la terre et ses senteurs végétales, entendre le chant des coqs, sentir l’âme des Marquises.

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Patrice Chef de danse à Hiva Oa

Le témoignage de Marie-Victoire, la grand-mère de Poe, est bouleversant. Ses réponses, ses silences, sa difficulté à trouver ses mots laissent transparaître les blessures jamais cicatrisées d’un peuple qui faillit disparaître au début du siècle dernier. Elle évoque sa vie au pensionnat de l’école Sainte-Anne à Hiva Oa où les filles étaient scolarisées afin d’être soustraites à l’inceste, et devenir de ferventes catholiques et par-dessus tout, des mères d’une généreuse fécondité. Les missionnaires avaient compris qu’ils n‘obtiendraient rien des garçons mais qu’ils réussiraient l’acculturation par la voie des filles. Son aïeule conserve apparemment un doux souvenir des heures passées à l’apprentissage des savoir-faire d’une civilisation aux antipodes de la sienne (Il y avait à Sainte-Anne une sœur d’origine allemande). Mais, elle semble avoir oublié la sévérité des méthodes de l’école des sœurs : les privations alimentaires, les corvées matinales auxquelles les pensionnaires ne pouvaient échapper, les châtiments corporels, les terreurs nocturnes, l’éloignement de leur famille dès le plus jeune âge, dès l’âge de six ans pour certaines. Un éloignement qui durait une année pour les Marquisiennes des autres îles de l’archipel, une année avant de pouvoir retourner sur l’île natale pour quelques semaines en famille, après un long voyage de plusieurs heures voire des plusieurs jours en baleinière. C’est ainsi que la population dévastée remonta ses effectifs grâce à la Mission et conjointement l’assistance sanitaire et persévérante du gouverneur, le Docteur Rollin.

Les plus petites familles comptèrent six, huit enfants tandis que la plupart en voyait naître entre douze et quinze et qu’un grand nombre de femmes mettaient au monde plus d’une vingtaine d’enfants, tous vivants.

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Fatuiva 1937 Photo prise par Thor Heyerdhal

Alors lorsque Poe essaie de retrouver les traces d’un passé disparu, perçoit-elle parmi toutes les violences subies, celle entre autres d’apprendre à manger assis à table avec une assiette et une fourchette lorsque les parents assis tailleur à même le sol en rond autour d’un plat central et unique saisissaient la nourriture avec les doigts ? Un exemple trivial direz-vous ? Manger avec les mains, danser pied nus le corps recouvert de végétaux sont des éléments identitaires de la culture marquisienne renaissante. Patrice, le fils, est le chef du groupe de danse qui représente Hiva Oa à chaque festival des Arts des Îles Marquises. La danse comme une thérapie corporelle pour se réapproprier sa langue maternelle nous dit Poe, la comprendre et surtout pouvoir la parler.

 

En écoutant Marie-Victoire, on entend sa résistance à la pratique de la langue française et on devine la pénibilité que fut pour elle l’apprentissage forcé de cette langue. Toutefois les Marquisiens restent très attachés à la France et à la religion catholique. Ils donnent des prénoms français à leurs enfants. Or à Tahiti, depuis une quinzaine d’année, les adultes manifestent une nette préférence pour leur prénom ma’ohi.

On pourrait se demander si aux îles Marquises, la population n’est pas victime du syndrome de Stockholm, son attachement à la France et à l’Eglise, autrement dit son identification à son agresseur, son envahisseur historique et occidental, lui offrirait pour un temps une possibilité de survie à l’enfer des années 1850-1920 ? Ce n’est pas si éloigné dans le temps, 1920 c’est quatre générations ; 1920 c’est à quelques années-près la naissance des arrières grands-parents de Poe.

On pourrait se demander aussi si parfois cette identification ne se retourne pas au contraire en une agression nouvelle contre la reconquête de la culture marquisienne ? Récemment il y a eu la dégradation du tiki de Upeke (une oreille détruite) et l’incendie de la pirogue de Nuku Hiva. Des symboles, des vestiges du passé sont détruits et drogues et alcools ne suffisent pas à éclairer ces actes.

Comment se penser à travers des statues que les ancêtres ont dû sous la contrainte détruire, comment jouer du tambour dans une église alors que les ancêtres ne devaient plus les faire résonner ?

 

« Comment puis-je apprendre leur langue maternelle aux enfants alors qu’il me fut interdit de la parler à l’école ? » me dit un jour un instituteur des îles Australes. C’était extrêmement douloureux pour lui.

Pour un historique de l’école des sœurs, lire l’article de Patrick Chastel

Marquises – La mort de Pakoko, le récit du soldat vosgien Georges Winter

 

     Lors du Vème festival des îles Marquises, en décembre 1999, il fut présenté dans la bonne humeur une série de sketchs racontant à la manière locale des faits de l’histoire des îles Marquises. Ces scènes ayant été filmées et diffusées sur les ondes de RFO, toute la Polynésie a pu en prendre connaissance. Deux grandes figures rebelles du passé furent évoquées : celles du « roi » Iotete de l’île Tahuata et celle du chef de guerre de Nuku Hiva Pakoko. L’histoire de Iotete est assez bien connue ; mais celle de Pakoko ne l’est presque pas. Pourtant la dignité, le courage et la droiture incontestables de ce chef marquisien devrait servir de modèle pour tout jeune Polynésien d’aujourd’hui, surtout que les témoignages publiés ci-dessous sont irréfutables. Il ne s’agit pas, dans cet article, de raviver un quelconque passif, mais de restituer l’Histoire aux populations telle qu’elle a été (et non telle qu’on voudrait qu’elle ait été) et qu’il faut assumer les brûlures de celle-ci. Il s’en dégage de grandes leçons, qui permettent de mieux comprendre le message d’espoir que vivent les populations actuelles à travers la reconnaissance de leur culture et de leurs particularismes au sein de l’entité de la Polynésie française. Il me paraît temps, surtout pour la génération montante, de la considérer assez adulte pour assumer l’héritage de son legs, aussi triste ait-il été à certaines époques. Et certainement, comme dans les histoires d’amour, étant bien informée sera-t-elle à mieux de pardonner.

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     L’annexion militaire de l’archipel des îles Marquises par la France au milieu du XIXème siècle ne se passa pas sans quelques heurts avec les populations locales : au groupe Sud, à Tahuata, le « roi » Iotete déclara la guerre aux Français, assiégea le fort de leur garnison au fusil et au canon et dix sept marins et officiers devaient y perdre la vie. Dans le groupe Nord des Marquises, à Nuku Hiva, le chef Pakoko commandita le massacre de cinq soldats à Taiohae, le 28 janvier 1845. Le 21 février, après toute une série de représailles envers la population, Pakoko se rendit avec trois de ses guerriers au lieutenant Almaric, lequel commandait la garnison. Il fut jugé dans les formes légales et fusillé. De ses trois complices, l’un fut acquitté, les deux autres condamnés à la déportation à Eiao où ils y restèrent jusqu’en 1852.

     Pakoko était chef de guerre à Nuku Hiva ; son influence y était grande et certains étrangers voyaient en lui l’homme qui possédait la stature pour prétendre à être reconnu comme roi de l’île, davantage que le « roi » Temoana qui était une création de circonstance pour servir à la légitimité des actes de prise de possession de l’île. Il est certain que Pakoko représentait la seule véritable opposition à l’ordre nouveau représenté par Dupetit-Thouars et les missionnaires.

     Les circonstances qui ont amené l’ouverture des hostilités entre les Marquisiens de Nuku Hiva et les troupes françaises, n’ont été et ne seront jamais parfaitement élucidées. Selon l’écrivain de marine Max Radiguet1, Pakoko aurait été humilié du fait que ses filles n’auraient pas été admises à monter à bord des navires de guerre au mouillage. Selon la vox populi, qui étrangement subsiste près d’un siècle et demi après les faits et continue de colporter sa version, la plus jeune fille de Pakoko aurait été surprise à la rivière par une bande de soldats venus y laver leur linge et aurait subi leur viol collectif. Cette version s’avère plausible.

     Un témoin direct des événements, le soldat G. Winter, raconte dans le style et avec les mots de son époque les événements dans son journal « Un vosgien tabou à Nouka-Hiva », publié dans le Bulletin de la Société de Géographie de l’Est » à Nancy en 1882.

 Jean-Louis CANDELOT

    René Gillotin – Baie de Taiohae – Décembre 1844

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Max Radiguet – Case marquisienne

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   Radiguet – Rade de Taiohae – Fort Collet à gauche

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    Max Radiguet – Guerriers Marquisiens

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    Le Breton – Morai d’un chef à Nouka Hiva

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    R. Gillotin – Indigenes au corps peint devant leur case -1844

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     Radiguet – Cases & tohua (taha koika) – Taiohae

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    Le Breton – Figuier gigantesque à Nouka Hiva – 1836

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Le Breton – Corvettes dans la baie de Nouka Hiva

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     Le Breton – Cases des Naturels à Nouka Hiva – 1836

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    Radiguet – Taiohae & le fort Collet

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  René Gillotin – Portrait de Pakoko – Décembre 1844

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     Rocher contre lequel eut lieu l’exécution de Pakoko

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     Goupil – Scène funéraire à Nouka Hiva -1836

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Bibliographie :

Candelot, Jean-Louis. « Chronique du passé – 1845 : La mort de Pakoko, chef de guerre et martyr de Nuku Hiva ».  Tahiti-Pacifique magazine, n° 113, septembre 2000

Jacquin, François. « De Constantinople à Tahiti : seize ans d’aquarelles autour du monde en suivant René Gillotin ». Paris : Karthala, 1997, 174 pages.

Winter, Georges. « Un Vosgien tabou à Nuka-Hiwa, Souvenirs de voyage d’un soldat d’infanterie de marine». Résumé par J.V. Barbier. Bulletin de la Société de Géographie de l’Est, tome 4. Nancy, 1882

Radiguet, Max. « Les derniers sauvages : la vie et les mœurs aux îles Marquises (1842-1859) ». Paris : Duchartre et van Bugenhoudt, 1929, 240 pages.

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Autre témoignage : La mort de Pakoko, le récit de Maximilien-René Radiguet

Marquises : Portrait de Pakoko par René Gillotin, portrait d’une opportunité tragique…

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Source : « De Constantinople à Tahiti, seize ans d’aquarelles autour du monde, 1840-1856, en suivant René Gillotin »  de François Jacquin – Editions KARTHALA, 1997 (réédition, 2007).

      Comme le titre l’indique, ce livre de format et de composition élégante, convie à un périple autour du monde, sur les traces d’un officier de marine doué d’un réel talent d’observation, René Gillotin. L’auteur, son arrière petit-neveu, souligne qu’« il dessinait pour son seul plaisir ».

     Agrémenté d’archives de l’époque : journal de bord, notes de collègues ou d’amis proches, réflexions d’écrivains ou d’artistes, le texte restitue l’atmosphère et l’histoire des lieux arpentés par le navigateur dont la carrière fut brillante mais courte, car très peu de temps après avoir été promu capitaine de vaisseau, il est mort paralytique et dément, en 1861, à l’âge de 46 ans.

     René Gillotin s’inscrit dans la lignée de ces marins qui s’improvisaient dessinateurs, et rapportaient de leur longues traversées des croquis ou des peintures comme autant de souvenirs de voyage.

     Tour à tour, le lecteur aborde en sa compagnie de multiples rivages en Amérique, en Orient, dans le Pacifique et en Afrique.

     Le musée du quai Branly a acquis récemment 236 de ses dessins, soit la majeure partie de son travail. Cet ensemble d’aquarelles, mines de plomb, pastels, sépias, oubliés dans un grenier pendant cent trente années, constitue un inestimable témoignage sur le plan documentaire et ethnographique.

     Ce sont dans ses aquarelles que la sensibilité picturale de René Gillotin se manifeste avec le plus d’évidence. La précision de son trait, son sens de la perspective, la fraîcheur de ses coloris, les nuances et les dégradés de ses bleus, de ses gris, de ses ocres, laissent entrevoir un tempérament d’artiste qui se plaît à jouer sur les vibrations, particulièrement belles dans les pays du Levant. Les œuvres semblent prendre vie au gré de la lumière.

     Ses portraits, essentiellement ceux qui ont été brossés à Tahiti ou dans les Marquises, sont délicats, souvent expressifs, et ses scènes de marché animées par un sens indéniable du pittoresque. Cet ouvrage invite à la rêverie et à la redécouverte d’un siècle où les missions scientifiques n’étaient jamais dénuées de romantisme. Marine Degli

Voir aussi :

http://tahitinui.blog.lemonde.fr/2008/06/18/la-mort-de-pakoko/

 

http://www.oceanien.fr/article-la-mort-de-pakoko-41310016.html

Le cannibale avait de si bonnes dents de Sagesse

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Cannibale recueilli par la Mission après avoir lui-même échappé à un clan voisin lorsqu’il transportait une victime humaine destinée au site sacré de sa vallée sur l’île de Hiva Oa. Photographie de Louis Gauthier

 

En 1888, Louis Stevenson écrivait : « C’est une escroquerie. J’avais classé ces îles comme celles ayant la population la plus bestiale ; ils sont en fait bien meilleurs, bien plus civilisés que nous le sommes. Je connais un vieux chef, Koomua, un vrai cannibale en son temps, qui dévorait ses ennemis à son retour chez lui, après les avoir trucidés. Or c’est un parfait gentilhomme, excessivement aimable, franc et homme de bon sens ».

Les musées de Metz Métropole présentent du 16 janvier au 30 mars 2009 une exposition intitulée : « La massue des Marquises »

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La massue des Marquises

    Premier opus du nouveau cycle « Inventaire à la Prévert », cette exposition est organisée autour d’une très belle et énigmatique massue en bois provenant des îles Marquises en Polynésie. À la fois arme véritable et symbole de pouvoir, l’objet comporte d’étonnants motifs sculptés caractéristiques de l’art marquisien. Conservée dans les réserves des musées de Metz Métropole, cette arme est présentée pour la première fois.                                                      

la-massue-des-marquises-musee-metz.1232957652.jpgDes dessins, des gravures, des livres et des cartes anciennes, datant essentiellement des 18ème et 19ème siècles, expliquent la provenance, la fonction et le contexte de cet objet très éloigné de nos propres références culturelles et esthétiques. Complétant la présentation, deux exceptionnelles statuettes en bois d’une divinité marquisienne sont mises en relation avec la massue. Quelques textes introductifs permettent de faire le lien entre les documents présentés et la massue placée au centre de l’exposition.

    Cette exposition a aussi pour objectif d’évoquer les « terres lointaines » et les grands voyages qui ont mis aux Européens en contact avec ces territoires et ces populations aux traditions si différentes.

    Cette exposition bénéficie des prêts consentis par quatre institutions détenant des œuvres majeures permettant d’éclairer l’histoire et le parcours de la massue de Metz. Il s’agit de cartes anciennes et d’ouvrages de James Cook conservés à la médiathèque du Pontiffroy, à Metz ; de statuettes prêtées par le musée de la Castre, à Cannes ; de dessins originaux et de gravures provenant du musée des Beaux-Arts de Chartres ; de photographies anciennes et de dessins originaux prêtés par le département Marine du service historique de la Défense, à Vincennes.

    Ainsi inauguré, le cycle de petites expositions intitulé «Inventaire à la Prévert» sera prioritairement consacré à la présentation d’œuvres conservées dans les réserves du musée. Il s’agit d’objets méconnus, souvent singuliers et rares. Ces objets n’ont jamais été montrés ou ne l’ont pas été depuis très longtemps. Le choix des œuvres sera volontairement éclectique et, essentiellement, hors des grands domaines patrimoniaux pour lequel le musée est principalement connu. Ainsi les collections ne faisant pas l’objet de présentations permanentes seront-elles privilégiées : ethnologie, histoire naturelle, souvenirs historiques …

    Cette manifestation est accompagnée d’un petit journal présentant l’objet en détail et fournissant des éléments d’explication, textes et images, sur son contexte culturel, historique et les circonstances de son arrivée à Metz.  

    L’iconographie contenue dans ce petit journal, pour partie différente de celle de l’exposition, est un complément et un prolongement de la visite.

    Deux Visites Passion sous la conduite du commissaire de l’exposition auront lieu le dimanche 25 janvier à 15h00 et à 16h00 (réservation obligatoire).

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Source http://musees.ca2m.fr/site/medias/Ressources_presse/DP-marquises.pdf  & http://musees.ca2m.fr/site/element_111.php

Marquises : Code Dordillon, Règlement du 20 mars 1863, sur la conduite des indigènes de l’île Nuka-Hiva.

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Le Commandant des îles Marquises et autres Établissements français de l’Océanie, Commissaire Impérial aux îles de la Société, aux îles Marquises,

PAROLE pour rendre meilleure la terre de Nuka-Hiva.

TITRE PRELIMINAIRE.

1° Le grand chef de l’île Nuka-Hiva commande à toute la population indigène.

2° Les chefs de district commandent dans leurs districts.

3° II y aura dans chaque district un chef, un juge, un chef mutoi et deux conseillers. Ces trois fonctionnaires seront nommés par le Directeur des affaires indigènes.

CHAPITRE I. Du grand-chef.

4° Au grand-chef de l’île Nuka-Hiva appartient de diriger le peuple. C’est à lui de faire exécuter les lois pour le bien du pays.

5° C’est au grand-chef qu’il appartient de régler les querelles de district à district.

6° C’est au grand-chef qu’appartient la direction des fusils, de la poudre et autres munitions de guerre.

7° C’est au grand-chef qu’il appartient de juger les fautes commises par les chefs, ou par les personnes notables, et les fautes graves des habitants.

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CHAPITRE II. Des chefs de districts.

8° Les chefs veilleront dans leurs districts respectif à l’exécution des lois et soutiendront de leur autorité les juges et les mutois.

9° Les chefs feront connaître au peuple les lois du Gouvernement.

10° Les chefs feront connaître au grand-chef tout ce qui se passe d’important dans leurs districts.

11° Ils enverront chaque mois un messager pour informer le grand-chef de ce qui se passe dans leurs districts.

CHAPITRE III. Des juges de districts.

12° Les juges sont chargés de juger les infractions aux lois. Ils doivent sans s’occuper des personnes n’avoir égard qu’à la justice et ne recevoir aucun présent de la part des parties.

13° Les juges feront connaître au chef le jugement qu’ils ont porté.

14° Les jugements n’auront lieu ni le dimanche ni les jours de fêtes.

CHAPITRE IV. Des chefs mutois et des mutois.

15° Les mutois sont chargés de la police de l’île chacun dans leur district.

16° Ils feront connaître au chefs de leurs districts les noms de ceux qui auront commis quelqu’infraction au lois ou qui auront troublé la tranquillité publique, ils les conduiront chez le chef ou chez le juge.

17° Les mutois n’emprisonneront personne sans sujet. Ils s’acquitteront fidèlement de leur charge ; sans quoi ils seront punis eux-mêmes.  

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CHAPITRE V. Du mariage.

18° II est expressément défendu à une femme d’avoir plusieurs maris et à un homme d’avoir plusieurs femmes, sous peine d’emprisonnement et de travaux publics.

19° Lorsqu’un homme et une femme auront été validement unis par le mariage, leur union sera indissoluble.

20° Lorsque la femme légitime viendra à mourir, alors seulement le mari pourra prendre une autre femme. Il en sera de même pour la femme à la mort de son mari.

21° Que le mari et la femme ne se séparent pas sans sujet. Le mari qui, sans sujet, quittera sa femme, ou la femme qui, sans sujet, quittera son mari, sera condamné à cinq jours au moins d’un travail public, et à un mois au plus, et de plus à se réunir.

22° C’est au mari à choisir le lieu d’habitation pour la femme. C’est au mari à gouverner, c’est au mari à fournir à sa femme la nourriture, les vêtements et tout ce qui lui est nécessaire. Qu’ils s’aiment mutuellement, qu’ils vivent en paix. Que personne ne prenne la femme de son prochain.

23° Celui qui aura abusé de la femme d’un autre, sera condamné un travail public de dix jours au moins, et de quarante jours au plus et à autant de jours de prison.

24° Que les femmes ou les filles n’aillent point à bord des navires ; c’est expressément défendu. La femme ou la fille qui ira à bord d’un navire, sans permission, sera emprisonnée et condamnée à un travail public de dix jours au moins et de vingt jours au plus.

25° Que les garçons et les filles aillent à l’école dans toutes les vallées. Les parents qui n’enverront pas leurs enfants à l’école seront condamnés à un travail public de un jour, et de cinq jours au plus pour chaque jour d’absence de leur enfant.

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CHAPITRE VI. De la propriété.

26° Les propriétaires conservent leurs droits sur leurs propriétés comme par le passé.

27° C’est au propriétaire de la terre à régler les droits de l’usufruitier.

28° C’est au propriétaire de la terre à régler les droits de celui auquel il a été accordé l’usage des fruits de sa terre.

29° L’usufruitier n’est qu’usufruitier.

30° Celui auquel le propriétaire n’accorde que l’usage des fruits, n’aura pas d’autre droit.

31° Que l’usufruitier n’abatte pas les arbres à pain, ni les cocotiers, les mio, les tamanu, ni les autres grands arbres sans la permission du propriétaire.

32° Que celui qui habite sur une terre dont la propriété ne lui a pas été contestée jusqu’alors, soit regardé comme en étant le propriétaire véritable.

33° S’il s’élève quelque contestation au sujet d’un terrain, on prendra des arbitres qui décideront en dernier ressort et sans qu’aucun des contendants puisse se plaindre de la décision. Que personne n’abatte les arbres d’un autre sans sa permission.

34° Celui qui aura abattu les grands arbres qui ne lui appartiennent pas, sera condamné à deux jours au moins d’un travail public et à vingt jours au plus et de plus à payer les arbres.

35° Que personne ne cueille, sans permission, les fruits à pain d’un autre. Celui qui cueillera sans permission, les fruits à pain d’un autre, sera condamné à deux jours au moins d’un travail public et à cinq jours au plus.

36° Que personne ne cueille les cocos d’un autre sans sa permission. Celui qui cueillera sans permission les cocos d’un autre, sera condamné à un travail public de deux jours au moins et de dix jours au plus.

37° Que personne ne coupe les feuilles de cocotier d’un autre sans sa permission. Celui qui coupera sans permission les feuilles de cocotier d’un autre, sera condamné à un travail public de cinq jours au moins et de vingt jours au plus.

38° II est expressément défendu de cueillir sans permission les fruits à pain ou les cocos d’un autre qui se trouvent auprès de l’habitation, mais on peut cueillir à la montagne des fruits à pain ou des cocos, si l’on a faim ou soif, mais on ne peut pas en emporter sans permission.

39° II n’y a point de cochons sauvages. Les cochons errants dans la vallée appartiennent au chef de la vallée. Il en est de même des poules et autres animaux dits sauvages. Celui qui aura tué ou volé le cochon d’un autre, sera condamné à le payer et de plus à un travail public de deux jours au moins et de cinq jours au plus.

40° Les animaux qui portent la marque d’un propriétaire appartiennent à ce propriétaire.

41° On ne chassera pas sans permission, les cochons et les poules dits sauvages. Lorsque le propriétaire des cochons voudra aller à la recherche de ses cochons errants dans la vallée, il en préviendra auparavant le chef, et, s’il y consent, il pourra alors les chasser, et s’il parvient à prendre un cochon, il le fera voir au chef et ne l’emportera pas auparavant. Il en sera de même des poules et autres animaux.

42° Lorsque l’usufruitier abandonnera la terre sur laquelle il avait permission de rester, il pourra emporter ses cochons et ses poules, mais s’il les laisse ils appartiendront au propriétaire de la terre et il ne pourra plus les réclamer. Il en sera de même pour celui qui n’a que la permission de se nourrir des fruits de la terre.

43° Que personne ne s’empare de la terre d’un autre.

44° Que personne ne prenne injustement les richesses d’un autre. Celui qui aura volé les richesses d’un autre, sera condamné à le payer et de plus à un travail public de dix jours au moins et de quarante jours au plus. S’il y a eu des circonstances aggravantes, comme par exemple l’effraction, il pourra être condamné à une peine proportionnée à la gravité de la faute.

45° Les richesses appartiennent à leur propriétaire, comme par le passé, il peut en faire ce que bon lui semble.

46° Les cochons appartiennent à leur propriétaire, comme par le passé, il peut en faire ce que bon lui semble.

47° La case ou la maison appartient à son propriétaire, comme par le passé, il peut en faire ce que bon lui semble.

48° Les bœufs du Gouvernement restent la propriété du Gouvernement. Il est défendu de les tuer, et il sera donné une récompense à ceux qui prendront soin de ces animaux et qui les conduiront à Taio-Hae.

49° Les baleinières, les pirogues appartiennent à leurs propriétaires, comme par le passé, ils peuvent en faire ce que bon leur semble, ils en ont seuls la jouissance.

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CHAPITRE VII. Défenses diverses.

50° Qu’on ne fasse plus dessécher les morts, qu’on les enterre le lendemain du décès. Celui qui fera dessécher un mort, sera condamné à vingt jours de prison au moins et à quarante au plus, et de plus il travaillera autant de jours sur la voie publique.

51° Qu’on ne fasse plus d’eau-de-vie de coco, qu’on n’achète pas d’eau-de-vie des étrangers et qu’on n’en donne pas aux autres. Celui qui fera de l’eau-de-vie de coco, qui achètera de l’eau-de-vie des étrangers ou qui en donnera aux autres, sera condamné à un jour de travail public au moins et dix jours au plus.

52° II est défendu de battre le tambour à la manière païenne. Celui qui battra le tambour à la manière païenne sera condamné à un travail public de cinq jours au moins et de vingt au plus.

53° Les chants païens et indécents sont défendus. Celui qui chantera des chants païens ou lascifs, des Uta, des Mumu, etc., sera condamné à un travail public de un jour au moins et de dix au plus.

54° II est défendu de s’oindre d’Eka ou d’huile de coco, de porter des colliers de fruits de pandanus et des habits couverts d’odeurs. Celui ou celle qui se couvrira d’Eka, qui portera des colliers de fruits de pandanus ou qui portera des habits couverts d’odeurs et d’huile de coco sera condamné à un travail public de cinq jours au moins et de vingt jours au plus.

55° Le tatouage est défendu. Le tatoueur et celui qui se fera tatouer, l’un et l’autre seront condamnés à dix jours de prison et à un travail public pendant deux mois au moins et trois mois au plus.

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56° II est défendu d’aller nu, de se baigner nu, soit sur le bord de la mer soit dans les ruisseaux. Celui qui ira nu sur la voie publique, qui se baignera nu dans les ruisseaux ou sur le bord de la mer sera condamné à un travail public de un jour au moins et de dix jours au plus.

57° Les Mau ou repas pour les morts à la manière païenne sont défendus. Celui qui donnera un Mau à la manière païenne sera condamné à un travail public de dix jours au moins et de vingt jours au plus et de plus à la prison pendant le même temps.

58° Que tous les lieux sacrés des païens soient rendus profanes. Que toute œuvre servile cesse les jours de dimanche et de fête. Celui qui travaillera les jours de dimanche et de fête sera condamné à un travail public de deux jours au moins et de dix jours au plus.

59° Que personne ne maltraite son prochain, ne le frappe ou ne le tue. Celui qui aura frappé ou maltraité de coups son prochain sera puni d’un jour de prison au moins et de dix jours au plus et de plus condamné à un travail public de un jour au moins et de deux mois au plus.

60° Celui qui aura tué un autre sera emprisonné jusqu’au jugement et sera condamné à mort, mais la sentence ne sera mise à exécution qu’après confirmation du jugement par l’autorité supérieure.

61° Que les fusils et la poudre soient réunis dans une case indiquée par le grand-chef. Il est défendu d’acheter des fusils et de la poudre sans permission. Celui qui, sans permission, aura acheté des fusils et de la poudre, sera condamné à deux jours de travail public et les fusils et la poudre seront confisqués et déposés chez le grand-chef.

62° II est défendu au propriétaires des embarcations et des navires de transporter sans permission les indigènes dans une autre terre pour y habiter, sous peine de prison et d’un travail public de dix jours au moins et de vingt jours au plus.

63° II est défendu de s’en aller à bord des navires sans la permission du grand-chef.

64° Celui qui sans permission se fera embarquer à bord d’un navire sera à son retour condamné à dix jours au moins et vingt jours au plus de travaux publics.

65° II est défendu d’exciter à la guerre. Celui qui excitera à la guerre sera condamné à deux jours au moins et à vingt jours au plus de travaux publics.

66° II est défendu de répandre de faux bruits de guerre. Celui qui répandra de faux bruits de guerre sera condamné cinq jours au moins et à vingt jours au plus de travaux publics.

67° II est défendu de menacer et de faire semblant de vouloir tuer quelqu’un, soit avec un fusil, soit avec une hache, sous peine de deux jours de travaux publics au moins et de dix jours au plus.

68° II est défendu de mettre le feu aux broussailles de la vallée, sans en avoir demandé l’autorisation au chef, sous peine de cinq jours au moins de travaux publics et de vingt jours au plus.

69° II n’appartient qu’au propriétaire de mettre le feu aux broussailles de sa propriété, après en avoir obtenu la permission du chef, afin d’éviter tout accident.

CHAPITRE VIII. Des routes.

70° Les routes ou chemins publics sont destinés à faciliter les communications de district à district, afin de maintenir la bonne harmonie parmi les populations.

71° Tout habitant condamné à des journées de travail, sera tenu de travailler aux routes.

72° Les journées de travail pourront cependant être rachetées au prix de un franc par journée et au profit du district sur le territoire duquel se trouve le chemin.

73° Le Directeur des affaires indigènes est spécialement chargé de surveiller les travaux ci-dessus spécifiés et du tracé des chemins.

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CHAPITRE IX. Dispositions générales.

74° Qu’on aille et qu’on vienne dans toute l’île, soit par terre, soit par mer, de vallée en vallée et de baie en baie, sans que personne soit maltraité.

75° Que tous soient unis et s’aiment mutuellement.

76° Les juges, afin de réprimer les infractions au présent règlement, pourront appliquer de un à dix jours de prison et trente journées de travail public. Les infractions méritant une punition plus sévère que celles laissées à l’appréciation des juges sont déférées au grand-chef de Taio-Hae.

77° Le Directeur des affaires indigènes des Marquises est chargé de la publication en langue marquésane des dispositions précédentes dans le Messager de Nuka-Hiva.

78° Le Secrétaire Général est chargé de l’exécution du présent règlement, qui sera enregistré au premier bureau du secrétariat général.

Fait à Papeete, le 20 mars 1863

Signé : E. G. De La RICHERIE.

Par le Commandant Commissaire Impérial :

Le Secrétaire Général pre, Signé : HUBERT.

 

La légende de la création des îles Marquises

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Joseph Kaiha nous conte la légende de la Création des iles Marquises (movie flash youtube ou audio en mp3) ; ci-dessous, une autre variante de la légende)

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Le soleil brillait sur la mer

       Les légendes, les histoires appartiennent à ceux qui savent les dire… Et aussi à ceux qui savent rêver en les écoutant. Alors, accompagné du fond sonore des tambours qui, au loin, rythmaient les chants de la koika enana ressuscitée (autrefois la grande fête marquisienne, à caractère d’ostentation, sur une place publique à gradins aménagée spécialement et appelée tohua koika), dans le murmure du ressac de la plage proche, sous la voûte dorée des myriades de constellations qui font la magie de la nuit des îles, René Haiti Uki entreprit de conter sa version de la création du Fenua Enata, la Terre des Hommes, connue en Occident sous le nom d’îles Marquises… 

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Eia i na po omua E pohue a’a Oatea me ta ia vehine o Atanua

Il y a longtemps, longtemps, le soleil brillait sur la mer,

mais dans la mer il n’y avait pas d’île.

 

Vivaient en ce temps-là Oatea et sa femme Atanua .

Ils n’avaient pas de maison.

Puisqu’il n’y avait pas d’île

Pour construire les maisons.

 

Alors Atanua dit à son mari :

« On ne peut pas bien vivre sans maison. »

Oatea ne répondit pas.

Il pensait :

 « Comment vais-je faire pour construire une maison ? »

Oatea invoqua les dieux, ses ancêtres.

 

 Un soir, il dit à Atanua :

 « Cette nuit, je vais construire notre maison.

Maintenant je sais comment faire. »

 

II faisait nuit.

La voix d’Oatea s’entendait seule dans le noir.

 

Il dansait et chantait :

Aka-Oa e, Aka-Poto e, Aka-Nui e, Akaïti e, Aka-Pito e, Aka-Hana e, Haka-Tu te Hae.

 

L’invocation finie, le travail commença.

 L’emplacement fut choisi : dans le milieu de l’Océan.

 

Deux piliers furent dressés : Ua Pou.

 

Une longue poutre fut placée sur les deux piliers :

Hiva Oa.

 

Alors il fallut assembler les piliers, la poutre.

 Le toit devant et le toit en arrière, Te ka’ava ao, te ka’ava tua.

C’est Nuku-Hiva.

 

La maison est couverte de feuilles de cocotiers tressées, Fatu.

 

La maison était grande.

Il fallait neuf feuilles de cocotier tressées

Pour la couvrir dans sa longueur :

O Fatuiva.

 

C’est long le travail de tresser les feuilles de cocotier.

Et de faire de la corde avec de la bourre de coco.

Le temps passe, il passe vite.

Oatea travaille, travaille sans arrêt.

 

Soudain Atanua crie à son mari :

« La lumière du jour commence à éclairer l’horizon du ciel. »

O Tahuata.

 

« Moho l’oiseau du matin chante déjà »

 Mohotani.

 

Oatea sans s’arrêter répond :

« Je finis. Il me reste à creuser un trou

Pour y mettre tout le surplus de feuilles

Et de bourre de coco » :

O Ua Huka.

 

Alors le soleil se lève et illumine l’Océan.

Voici la maison construite par Oatea.

 

Atanua sa femme s’écrie :

Ei, ei, ei, ua ao, ua ao, O Eiao.

Ua Pou,

Hiva Oa,

 Nuku Hiva,

Fatu Hiva,

Mohotani,

Tahuata,

 Ua Huka

et Eiao,

 

 voici donc les îles ruisselantes de lumière dans le soleil levant.

                                                                                                Texte de Jean-Louis Candelot

Le réveil des Marquises

Le musée du quai Branly rend hommage à l’art de Polynésie et à ses traditions aujourd’hui réinventées. Reportage aux îles Marquises, au cœur d’une culture en plein renouveau.

par Hortense Meltz, envoyée spéciale du magazine « Beaux Arts »

« Les Marquises, c’était l’archipel du silence. Mes parents refusaient de me raconter les rituels, les légendes marquisiennes car, pour eux, « c’était diabolique. Ils avaient été « lavés » par les missionnaires. On ne dansait plus sur les rythmes marquisiens, l’artisanat était en plein déclin, quelques vieux sculpteurs continuaient à travailler dans l’indifférence générale.» Nous sommes en 1968.

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Benjamin Teikitutoua, Président du Comité organisateur du festival des Marquises en décembre2007. Photographie prise lors du départ des délégations

À l’époque, Benjamin Teikitutoua est adolescent, à Ua Pou, l’une des six îles habitées de l’archipel marquisien. Aujourd’hui, il préside le festival des arts des Marquises. En décembre 2007, pendant une semaine, Ua Pou, célèbre pour ses douze necks, de hautes colonnes basaltiques qui lui donnent un modelé grandiose, a vu sa population passer, le temps du festival, de 2000 à 5500 habitants. Pourtant l’île est difficile d’accès, trois heures d’avion de Papeete à Nuku Hiva, puis encore une demi-heure de Twin Otter pour atterrir enfin à Ua Pou. Le festival des Marquises, organisé tous les quatre ans, est devenu l’événement phare de la vie culturelle polynésienne. Hier encore, personne n’aurait pu imaginer ce renouveau.

«Le peuple marquisien se meurt, il n’y a rien à en tirer»… À partir de 1887, les rapports sur l’état des Marquises se succèdent, ne pouvant que constater la rapide disparition d’un peuple. En 1842, après son annexion par la France, la situation de l’archipel continue de décliner car aucun moyen financier ou humain n’est mis en œuvre pour sauver la population. Les hommes

sombrent dans l’alcool, la drogue, et succombent aux épidémies apportées par les marins.

Sur 20 000 habitants en 1842, on n’en dénombre plus que 2000 en 1918. Il faut attendre le début des années 1920 et la politique démographique du docteur Rollin, administrateur des Marquises, pour enrayer la chute de la courbe de natalité. Au même moment, la lente évangélisation casse les structures traditionnelles en interdisant la pratique du tatouage, la danse et le chant. Les tiki, symboles païens, sculptures emblématiques en bois et pierre, sont détruits ou envoyés en Europe comme preuve de la conversion de la population. La culture de tradition orale n’y résiste pas. Paradoxalement, c’est un évêque, monseigneur Hervé Le Cléac’h, qui sera l’un des animateurs du réveil identitaire. «À mon arrivée, en 1971, j’ai d’abord regardé le paysage, puis j’ai étudié le comportement des gens et j’ai cherché à découvrir ce qu’était leur histoire. Les Marquisiens ne la connaissaient plus», raconte-t-il.

 

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Vue du tohua, grande place communautaire, île de Ua pou. Construit entre le XVIe et le XVIIIe siècle, il était utilisé lors des cérémonies festives. Abandonné au XIXe, il a été restauré à l’occasion du dernier festival. Au premier plan, une oeuvre  contemporaine en tuf rouge sculptée à Nuku Hiva et offerte à Ua Pou lors du festival .

Avec la prise de conscience de son identité et le réveil linguistique, une culture nouvelle s’ébauche aux Marquises.

Pour sauver cette culture en voie de disparition, Hervé Le Cléac’h lance une vaste enquête auprès de la population. « Connaissez-vous vos ancêtres ? Parlez-vous votre langue ? Que pensez-vous de vos traditions ? » En 1979, l’association culturelle Motu Haka (le rassemblement) est créée à l’initiative de l’évêque pour sauvegarder le patrimoine marquisien. Cette première prise de conscience s’accompagne d’un réveil linguistique en réaction à la décision du gouvernement territorial d’imposer, en 1982, des cours de langue tahitienne à l’école (différente du marquisien). Motu Haka obtient la reconnaissance officielle de la langue de l’archipel et la création d’une académie marquisienne.

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Danseur traditionnel pendant le festival des Marquises, en 2007. Vêtu d un costume en feuilles d’auti (plante sacrée), il exécute la danse du guerrier. Son casse-tête indique sa fonction de chef de danse.

Un salutaire retour aux sources

Sur sa lancée, l’association inaugure, en 1987, le premier festival des arts aux Marquises. « On a commencé à recueillir les souvenirs des personnes âgées, ensuite on a effectué des recherches sur la base des travaux des ethnologues et des navigateurs », raconte Benjamin Teikitutoua, alors instituteur à Ua Pou et membre fondateur de Motu Haka. La musique, qui rythme les chants et les danses (dont les fameux haka), est au cœur de ce processus de reconquête de la mémoire. Jadis, le pahu, un tambour traditionnel, était la base de la musique marquisienne et régnait en maître. Herman Melville, dans Taïpi, qui raconte son séjour à Nuku Hiva, en 1842, a évoqué une fête, centrée autour de pahu gigantesques, dont on jouait continûment pendant plusieurs jours. Ce tambour sur pied, un fût en bois évidé pouvant atteindre deux mètres de haut, était recouvert d’une peau de requin fixée par de la fibre de coco. Sa fabrication avait été abandonnée et même oubliée jusqu’à la création du festival qui vit renaître les grands pahu. Le musicien et chanteur marquisien Jean-Paul Landé a entrepris de fabriquer un pahu à l’ancienne à l’occasion du festival de 1991. «Je me suis rendu avec le sculpteur Tuarae Peterano au musée de Tahiti pour mesurer le pahu des Marquises qui y est conservé. J’ai aussi travaillé à partir de photographies. On s’est rendu compte que le même procédé était utilisé pour tous les tambours, quelle que soit leur taille. La difficulté du travail tenait au respect des proportions et à la reconstitution du système d’attaches. Pour les premiers pahu, nous avons attaché, détaché, attaché de nouveau, jusqu’à trouver la bonne technique.»

Cette mobilisation de la population à la recherche de ses racines a permis à monseigneur Le Cléac’h de se réjouir: «Il est certain qu’une culture nouvelle s’ébauche aux Marquises.»

Les voyagistes ne s’y trompent d’ailleurs pas, les îles Marquises sont devenues une destination recherchée et haut de gamme malgré la difficulté d’accès, le manque de vols internationaux et d’infrastructures locales.

Par quel miraculeux tour de force 8000 Marquisiens ont-ils réussi à faire renaître leur culture et revendiquer leur identité ? Débora Kimitete, première adjointe au maire de l’île de Nuku Hiva, capitale des Marquises, avance une explication : « C’est peut-être parce qu’en 1920 ils n’étaient plus que 2000. Un peu comme sur l’île de Pâques. Ce sont les survivants d’une culture qui a bien failli disparaître.» Une culture aujourd’hui bien vivante à l’image des tiki en bois ou en pierre qui envahissent les marchés et les maisons. Symbole du renouveau de la sculpture marquisienne, le tiki est le demi-dieu le plus connu du panthéon marquisien, en sa qualité de créateur de l’homme. La tête incarne le mana (la puissance), le visage est dévoré par d’immenses yeux en amande qui témoignent de ce pouvoir surnaturel alors que la bouche étirée, laissant voir la langue, ou parfois les dents, défie l’ennemi et l’adversité. Aux moments clefs de la vie de la tribu, il devenait indifféremment réceptacle de la divinité ou des ancêtres légendaires.

Symbole du renouveau de la sculpture marquisienne, le tiki est le demi-dieu le plus connu du panthéon local.

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Tiki  contemporain en cocotier (1,60 m de haut) sculpté par Philippe Amedé Teikitohe

Des tiki, Séverin Taupotini en vend beaucoup. Installé à Nuku Hiva, il sculpte avec ses deux derniers fils de 16 et 17 ans dans l’atelier qu’il a construit dans son jardin. Séverin fait partie de la vieille génération, celle qui a réussi à maintenir la sculpture en vie. Ce n’était au début qu’un complément de revenus dans une économie de subsistance. « En 1958, j’avais 13 ans, j’ai commencé à sculpter mais je faisais aussi le coprah, les cochons, les bananes et la pêche.»

Son neveu Damas Taupotini, installé quelques centaines de mètres plus loin, a aussi un coup de patte sans égal pour copier des pièces traditionnelles. À partir d’un catalogue d’exposition, il sculpte un magnifique casse-tête dans du bois de fer, commandé par un client de Papeete pour 250 000 francs CPF (2000 euros). Aujourd’hui, à 40 ans, il cherche sa propre inspiration.

De copiste à artiste

Il fait partie de ces sculpteurs que Débora Kimitete aurait aimé emmener avec elle, à New York, en mai 2005. Le Metropolitan Museum of Art inaugurait alors «L’art des îles Marquises». «Parmi nous, il y a des artisans.

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Le u’u (massue, casse-tête) était la propriété des guerriers. La partie supérieure porte le motif de la tête, censé  augmenter le mana (pouvoir). Les stries qui cernent les yeux représentent un motif de tatouage arboré par les guerriers.

Aujourd’hui, quelques-uns sont de vrais artistes, pas seulement des « reproducteurs ». Je voulais les faire voyager pour enrichir leur imaginaire et qu’ils posent un regard neuf sur le travail de leurs ancêtres. » Une idée que partage Mate Bruneau qui a hérité son nom d’un lointain ancêtre breton. Après avoir travaillé sur l’atoll de Mururoa, comme maçon puis agent de police, Mate commence à sculpter à son retour à Ua Pou. Pendant cinq ans, il ne réalise que des répliques. «Il y a une dizaine d’années, j’ai rencontré un sculpteur venu de France qui m’a dit de sculpter selon mes envies. À l’époque, je réalisais des objets culturels, du marquisien type. La première fois que j’ai vraiment créé quelque chose, il m’a fallu du temps. Le problème était dans ma tête, j’avais peur que l’on m’accuse de renier ma culture. Maintenant, j’en suis convaincu, quand tu crées, c’est universel, tu es toi, tu fais partie de l’univers et des Marquises aussi.»

Désormais, ils sont quelques-uns à signer leur œuvre, non à la demande du touriste qui veut s’assurer que son tiki n’est pas d’importation chinoise mais pour revendiquer une création à part entière. Art traditionnel et art contemporain sont étroitement associés à l’affirmation de l’identité culturelle des Marquises.

Trois questions à… Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques du musée de Tahiti et ses îles, Papeete

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Les danseurs portent des ornements en plumes de coq sauvage, en coquillages, en os de cochon ou de cheval.

Quel est le statut de l’œuvre d’art polynésienne ?

Un musée ne prend pas du tout en compte, et c’est normal, les dimensions immatérielles attachées à l’objet. On parle de réalisations sur lesquelles on a peu d’informations. On les réduit à une dimension esthétique. Dans la civilisation polynésienne, il y avait un goût pour les belles choses, une recherche de l’objet extraordinaire et de la difficulté. Mais la dimension esthétique était en arrière-plan. Un objet était le symbole du mana, le pouvoir d’une chefferie, de son principal ancêtre et l’incarnation de cette généalogie.

Qu’est-ce qu’un objet « authentique » ?

On parle d’objets « authentiques » jusqu’au milieu du XIXe siècle, c’est-à-dire au sujet des productions dans la lignée des objets avant le «contact» (Wallis débarque à Tahiti en 1767, Bougainville en 1768, Cook en 1769). On ne prend pas en compte ce qui va être créé à la fin du XIXe siècle dans un style acculturé, destiné uniquement à la vente et que l’on appelle «curios». Ici, il y a assez peu d’art populaire, comme les selles marquisiennes qui sont, par ailleurs, superbes.

Quel regard les polynésiens portent-ils sur leur patrimoine ?

Le statut de l’objet polynésien a évolué en Occident grâce au regard des artistes du XXe siècle. Depuis quelques années, on lui reconnaît le rang de chef-d’œuvre artistique. En Polynésie, nous n’en sommes pas là. Il y a eu un regain d’intérêt pour deux raisons. Ces objets ont symbolisé une quête identitaire qui passait par la revendication de leur propriété. Et parce que le monde commençait à s’y intéresser. Avant, les Polynésiens chrétiens les abandonnaient quand ils n’avaient plus d’utilité (herminettes en pierre, hameçons en nacre) ou les ont détruits ou déposés dans des lieux tapu (interdits, sacrés), comme pour les statues de divinités. Ces objets ont aussi servi de monnaie d’échange avec les étrangers.

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Pour contacter l’auteur de cet article, merci d’adresser vos e-mails à : courrier@beauxartsmagazine.com

A lire :

Polynésie – Arts et divinités (1760-1860), catalogue de l’exposition sous la direction de Steven Hooper, coéd. Musée du quai Branly / RMN, 288 p., 300 ill.

 

« Le réveil des Marquises » : Texte original paru dans Beaux Arts Magazine Juillet  2008, publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.