Hôpital de Taiohae
Parmi les observations arrêtées au 16 juin 2004 par la Chambre Territoriale des Comptes sur la gestion de la Direction de la Santé Publique à partir de l’exercice 1991, un certain nombre d’entre elles éclaire d’un manière significative les causes des difficultés matérielles et humaines récurrentes rencontrées par les équipes médicales des îles Marquises.
Extraits du rapport :
Parmi tous les domaines d’intervention des administrations territoriales, le secteur de la Santé est sans doute celui qui impose les plus grandes contraintes au service public. La contrainte la plus évidente est celle de la géographie : quoique plus de la moitié de la population totale de la Polynésie française réside sur l’île de Tahiti, l’importance des distances et la dispersion des usagers potentiels des services de santé ne peuvent qu’avoir de profondes conséquences sur l’organisation et le coût de l’offre de soins, d’autant que celle-ci, du fait des changements d’habitudes de vie et du vieillissement de la population, doit inéluctablement évoluer et prendre en compte de nouvelles spécialités et de nouvelles techniques médicales.
Dans le souci de répondre au mieux aux attentes en matière de santé publique, voire de les anticiper, le territoire a choisi dès 1995 de mener une réflexion stratégique, utilisant pour cela les instruments que sont les plans quinquennaux de santé et, plus récemment, le schéma territorial d’organisation sanitaire (STOS). Outre l’amélioration de la qualité des structures d’accueil et des soins qu’elles offrent, il a été décidé de développer la prévention et ainsi de rechercher une maîtrise de l’évolution des dépenses.
Les origines de la direction de la santé entraînent d’autres contraintes.
En effet, directement héritée du système militaire en place en Polynésie au début du vingtième siècle et modifiée ensuite au hasard des conditions créées par les choix opérés en matière de défense nationale, son organisation a été maintenue lorsque la responsabilité en a été confiée au Territoire.
Tirant les conséquences des dysfonctionnements constatés, et dans le souci de rationaliser au mieux l’emploi des crédits affectés à ce secteur, les autorités territoriales ont chargé dès 2000 la directrice de la Santé nouvellement nommée de proposer et de mettre en ouvre une organisation plus opérationnelle, accompagnant ainsi la restructuration de l’offre de soins décidée par le STOS.
Il convient de rappeler que la direction de la Santé n’a parfois pas la maîtrise des crédits qui figurent sur les lignes budgétaires qui lui sont attribuées.

Administration territoriale dépourvue de personnalité juridique, la Direction de la Santé ne dispose pas d’un budget en propre et les autorisations de programme ou les crédits de paiement affectés au secteur de la santé sont très largement supérieurs à ceux dont la direction a réellement la maîtrise.
Ainsi, pour 2001, sur les 33 milliards de Fcp que représentent les autorisations de programme ouvertes, plus de 28 concernent des opérations dont la réalisation est confiée au ministère de l’Equipement, et pour lesquelles la DSP voire le ministère en charge de la Santé n’ont au mieux qu’un rôle consultatif.
La juridiction financière avait cru devoir souligner les conséquences financières de cette pratique :
« Laissant le territoire décider à sa place des gros investissements, le CHT perd la maîtrise de sa politique à moyen et long terme. De plus, les équipements financés par un tiers et mis à sa disposition ne sont pas pris en compte dans le calcul des amortissements, ce qui entraîne une double conséquence :
* la minoration des charges réelles de fonctionnement, d’où une sous-évaluation des recettes correspondantes, en particulier de la dotation globale.
* l’absence de possibilité de renouveler sur ses fonds propres des équipements atteints d’obsolescence : en s’engageant sur cette voie, le CHT s’oblige par avance à faire de nouveau appel à des financements extérieurs ou à financer la totalité du renouvellement des équipements par l’emprunt.»
Quel que soit le périmètre financier réel de la direction en matière d’investissements, force est de constater qu’au cours de la période sous revue, de nombreuses opérations ont été initiées sans que leur faisabilité, les conditions de leur réalisation ou leur évaluation prévisionnelle n’aient été suffisamment étudiées. Ainsi en est-il des opérations dont la durée d’exécution apparaît comme exagérément longue, de celles pour lesquelles le montant des dépenses réelles est très éloigné de l’estimation d’origine, enfin de celles qui ont dû faire l’objet d’une annulation.

A – Les opérations dont la réalisation s’est étalée sur une longue durée
Les programmes de travaux concernant les Marquises ont donné lieu à quatre ouvertures d’autorisations de programmes distinctes pour l’hôpital de Taiohae, et une cinquième concernant l’ensemble des infirmeries des Marquises.
a – Réfection du bloc opératoire de l’hôpital de Taiohae
– Ouverture des AP sur l’exercice 1988 pour un montant de 518 248 000 Fcp
– Premier paiement en 1989, solde réglé en 1996 soit une réalisation étalée sur 7 ans
– Montant total des paiements : 495 322 735 Fcp. Il s’agit des travaux réalisés à l’hôpital de Taiohae, destinés à encadrer la remise aux normes techniques du bloc opératoire. Ce programme s’est ultérieurement poursuivi.
b – Equipement du bloc de l’hôpital de Taiohae
– Ouverture des AP sur l’exercice 1989 pour un montant de 45 000 000 Fcp
– Premier paiement en 1993, solde réglé en 2002 soit une réalisation étalée sur 10 ans
– Montant total des paiements : 42 074 326 Fcp
c – Equipement du bloc de l’hôpital de Taiohae et équipements techniques formation
– Ouverture des AP sur l’exercice 1993 pour un montant prévisionnel de 43 330 000 Fcp
– Premier paiement en 1994, solde réglé en 2001 soit une réalisation étalée sur 8 ans
– Montant total des paiements : 21 971 788 Fcp soit 50,71% des prévisions
d – Reconstruction de l’hôpital de Taiohae – 2ème tranche
– Ouverture des AP sur l’exercice 1998 pour un montant prévisionnel de 360 000 000 Fcp
– Premier paiement en 2000
– Montant total des paiements au 31/12/2001 : 25 033 246 Fcp. Des renseignements obtenus de la DSP, il ressort que la fixation d’un montant d’autorisations de programme a été prématurée, la présentation définitive du projet n’ayant été faite qu’en juin 2002, soit 4 ans après. Les travaux de gros œuvre n’ont d’ailleurs réellement commencé qu’en mars 2003. A ce jour, l’état de cette opération est le suivant :
– Montant des AP porté à 453 173 996 Fcp
– Montant total des paiements au 31/12/2003 : 281 548 443 Fcp
e – Reconstruction des infirmeries des Marquises
– Ouverture des AP sur l’exercice 1995 pour un montant prévisionnel de 122 000 000 Fcp
– Premier paiement en 1995 ; opération en cours
– Montant total des paiements au 31/12/2001 : 84 589 443 Fcp.
Sept ans après le démarrage des travaux, cette opération (qui concerne 3 infirmeries) n’est réalisée qu’à hauteur de 70%. Il est d’ailleurs à craindre qu’il ne s’agisse là d’une situation définitive, le montant des AP ayant depuis été réduit à 90 000 000 Fcp tandis que le montant total des paiements demeurait inchangé au 31/12/2003.

B – Les opérations soldées ou durablement interrompues pour des montants très inférieurs aux estimations
Matériel et mobilier hôpital de Taiohae
– AP ouvertes en 1992 pour un montant de 40 000 000 Fcp
– Montant total des paiements : 17 514 359 Fcp, soit un taux de réalisation de 43,79% par rapport à l’estimation prévisionnelle.
A noter que, programmée en 1992, cette opération n’a connu de début d’exécution qu’en 1997. Sa réalisation partielle s’est de plus étalée sur 4 ans.

C – Les opérations annulées
Un grand nombre d’opérations ont été purement et simplement annulées au cours de la période sous revue. Il s’agit notamment de :
1 – Rénovation de l’infirmerie de Puamau
– Montant des AP votées en 1989 : 25 000 000 Fcp.
– Annulation en 1992 (aucun CP consommé). En fait, l’opération a été reprise en 1995 et réalisée.
2 – Rénovation de l’infirmerie de Hane
– Montant des AP votées en 1990 : 10 000 000 Fcp.
– Annulation en 1992 (aucun CP consommé). En fait, l’opération a été reprise en 1995 et réalisée.
Qu’il s’agisse des opérations exécutées sur une période beaucoup trop longue ou de celles dont tout ou partie de la réalisation a été abandonnée, ces quelques exemples montrent l’impréparation des choix ayant entraîné l’ouverture des autorisations de programme et parfois le versement de l’aide financière de l’Etat, et le manque de suivi des décisions prises.
Sans méconnaître de possibles difficultés liées à la rareté, dans certaines îles, des entreprises susceptibles de se voir confiée la réalisation des équipements prévus, la Chambre constate que cette observation concerne en priorité des programmes destinés aux archipels les plus éloignés (Marquises, Australes…), ce qui amène à mettre en cause l’organisation centralisée de la Direction de la Santé publique.
Elle note donc avec intérêt le remplacement des huit circonscriptions médicales par cinq subdivisions dans le cadre de la réorganisation de la DSP et ne peut que souhaiter que cette réforme s’accompagne d’une véritable déconcentration des moyens et des compétences.

L’amélioration des prises en charge médicale dans les archipels éloignés : ce n’est pas pour demain.
Dans son dernier rapport (2001/2008), la CTC énonce les dérives du CHT : des données d’activité incomplètes, des chiffres faussés ou donnés sans commentaire d’où l’incapacité pour le centre hospitalier de la Polynésie française de prévoir son activité, des règles budgétaires et financières impropres à assurer la maîtrise de la dépense, des difficultés de recouvrement persistantes, quantification et suivi des effectifs quasiment inexistants jusqu’en 2008, traitement des déchets hospitaliers toujours non résolue et un nouvel hôpital loin d’être au point….
Les charges de personnel (1 600 agents) représentent plus de 60% des charges de fonctionnement du CHPF. La gestion des ressources humaines (la direction des ressources humaines n’a aucune existence juridique) est rythmée par des conflits sociaux souvent longs dont découlent des conventions qui, la plupart du temps, maintiennent le statu quo sur plusieurs points sensibles en matière de recrutement, de rémunération et d’organisation du travail. Les accords sont parfois signés dans le non-respect de la compétence du conseil d’administration de l’établissement. Tout laisse à penser que les ingrédients d’un nouveau conflit peuvent être réunis à tout moment.
L’évolution erratique du nombre de postes nécessaires à l’hôpital entre 2005 et 2008 traduit une absence totale de gestion prévisionnelle des ressources humaines. La gestion des remplacements aboutit actuellement, faute d’une connaissance précise des besoins, à un écart d’environ 20% entre l’effectif autorisé et l’effectif rémunéré.
La gestion des mouvements de personnels et des éléments variables de la rémunération n’est pas transparente et engendre des dérives importantes ou des risques juridiques. L’examen des procédures de recrutement et de rémunération des médecins révèle quelques anomalies
Le montant des indemnisations des heures supplémentaires progresse, les effectifs employés progressent dans le même temps. Il est aussi remarquable que cette hausse continue des heures indemnisées s’effectue dans le cadre d’une durée légale du travail hebdomadaire de 39 heures. En fonction de l’indice de rémunération, certains agents peuvent percevoir jusqu’à 1,5 million de Fcfp d’heures supplémentaires par an. Les déclarations de 20 heures supplémentaires par semaine et chaque semaine ne sont pas exceptionnelles. Il ressort de cette première approche que dans un certain nombre de cas, les heures supplémentaires sont versées systématiquement et constituent un complément de rémunération forfaitisé. S’agissant du régime indemnitaire, ce ne sont pas moins de 32 primes, indemnités et avantages en nature différents versés aux agents, selon leur statut et leurs fonctions.
Au travers des primes (mais également des heures supplémentaires), il s’agit de rattraper les problèmes de disparités statutaires et de compléter ces statuts par des accessoires à la rémunération. D’une façon générale, les motivations qui président à ces versements ne sont pas suffisamment explicites et spécifiques. Il arrive également que ces attributions soient versées sans support légal.
À quelques mois de l’ouverture du nouveau centre hospitalier, aucune vue d’ensemble des surfaces complémentaires indispensables au fonctionnement et de leur coût n’est disponible. Malgré un bâti surdimensionné excédant les normes admises, des constructions supplémentaires (de 6 000 à 7 000 m2) sont nécessaires pour satisfaire les besoins non pourvus du CHPF. Construit sans programme identifié, nécessitant des modifications importantes en cours de chantier, le nouvel hôpital de Taaone ne tient aucun compte de la nécessaire maîtrise des surfaces et des surcoûts d’exploitation qui découleront de cette absence de maîtrise.
L’exploitation technique suppose des changements radicaux. Les hypothèses du coût d’exploitation et de la maintenance en 2008 évaluaient un surcoût de 800 millions de Fcfp. L’ouvrage et ses installations, les équipements, y compris mobiliers offrent un niveau de technicité élevé. La planification de la maintenance, la variété des technologies mises en œuvre supposent un niveau et une variété de compétences dont l’hôpital ne dispose pas.
D’autre part, l’incidence des surcoûts liés à l’amortissement, à l’entretien et au renouvellement des biens n’est pas neutre et selon les hypothèses retenues pèsera soit sur l’hôpital et donc par ricochet sur la CPS, soit sur le budget de la Polynésie française. La question de la prise en charge par le CHPF des amortissements du nouvel hôpital, qui n’a pas été tranchée, ne peut toutefois pas être ignorée. Les surcoûts engendrés par l’installation prochaine du CHPF dans le bâtiment du Taaone peuvent donc être résumés comme suit : maintenance : 800 à 900 millions de Fcfp ; personnels : 450 millions de Fcfp ; dépenses médicales : 300 millions de Fcfp ; amortissements des seuls équipements : 1,4 milliard de Fcfp, soit un total de 2,9 à 3 milliards.

Notre conclusion :
Tant que durera cette gestion politico-administrative héritée de l’ère postcoloniale, source de gaspillage et d’ inefficacité, les charges financières du nouveau CHT pèseront dorénavant et pour longtemps sur le budget de la Santé ne laissant guère entrevoir une amélioration rapide des prises en charge médicale dans les archipels éloignés.
Face à l’urgence, aux Marquises, quelques-uns avec humour vous répondront : « C’est urgent ? Ok, on verra ça hier ! »
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Source : rapport_ctc-2004_dsp.1277159610.pdf
ctc_cht_2010.1277302468.pdf
CTC Rapport d’observations définitives/ Centre hospitalier de la Polynésie française/2001-2008
Liens :
Les urgences aux Marquises : une urgence à traiter (03/2008)
Appel aux secours auprès des reponsables politiques (01/2010)
Mouvement de grève à l’hôpital de Taiohae (06/2010)
L’hôpital de Taiohe