Invitation au voyage
Linda Lorin nous emmène à la découverte de notre patrimoine artistique, culturel et naturel.
Dans ce numéro disponible sur Arte du 17/04/2019 au 15/06/2019 : Herman Melville s’aventure aux Marquises
En 1842, le futur auteur de Moby Dick, alors jeune marin en quête d’expériences, débarque aux îles Marquises. Sa rencontre avec une tribu indigène lui inspire son premier succès littéraire, Taïpi.
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Note critique :
Tant que le mythe durera…
A la même période 1844, en Angleterre, Wilkie Collins âgé de 20 ans écrit le manuscrit de « Iolani ou les maléfices de Tahiti » sans avoir jamais mis les pieds en Océanie.
Tant de journaux de bord américains, tant de descriptions et de récits parus aux Etats-Unis bien avant 1840, et longtemps après, tous ces textes ou extraits très probablement publiés dans les journaux du pays car ces récits offraient aux lecteurs une vision quasi de l’au-delà et possiblement ou nécessairement tronquée sur les continents lointains dits exotiques. Il y avait ainsi une source documentaire suffisante pour ceux ou celles qui avaient la faculté ou le talent d’écrire des romans exotiques, ou d’aventure ou de voyage selon la demande des éditeurs.
Toutefois, une bloggeuse passionnée de littérature écrit à propos de « Oomo » un autre livre de Melville :
« Ne se contentant pas de relater les faits dont il se souvient (n’ayant pas pris de notes) et de commenter ses observations, l’auteur remanie et réimagine en effet son expérience dans un récit très documenté mêlant la réalité à la fiction. Il n’hésite pas ainsi à inventer – avec un talent manifeste – des détails, des événements ou des personnages pour corser son récit, et il ne se prive pas, surtout, d’emprunter aux auteurs contemporains de récits de voyages – et dans une moindre mesure aux auteurs de romans d’aventures – pour étoffer son récit et le nourrir de nombreuses digressions informatives lui conférant plus de véracité. Avec aplomb, il présente même souvent ces informations comme résultant de sa propre observation ou provenant de proches sources indigènes ! Mais Herman Melville s’approprie tous ces emprunts avec génie, les transformant de manière très personnelle en une littérature de qualité. La littérature n’est-elle pas en partie l’art du plagiat, un art auquel on reconnaît les grands ? »
On peut penser que Melville a procédé de la même manière… pour écrire Typee.
Peut-être existe-t-il quelque part une analyse critique de Typee qui ferait l’inventaire de ses emprunts.
Car en effet, Typee n’est « en fait, ni une autobiographie littérale ni une pure fiction ». Melville « s’est inspiré de ses expériences, de son imagination et de nombreux livres de voyage pour faire valoir son savoir-faire lorsque le souvenir de ses expériences était insuffisant ». Il s’est écarté de ce qui s’est réellement passé de plusieurs manières, parfois en prolongeant des incidents factuels, parfois en les fabriquant, et parfois par ce qu’on peut appeller «des mensonges purs».
Le séjour réel d’un mois sur lequel Typee est basé est présenté comme étant quatre mois dans le récit ; Il n’y a pas de lac sur l’île sur laquelle Melville aurait pu faire du canoë avec la belle Fayaway, et la crête que Melville décrit grimper après avoir quitté le navire qu’il a peut-être vu sur une gravure. Il s’est largement inspiré des récits contemporains des explorateurs du Pacifique pour ajouter à ce qui aurait autrement été une simple histoire d’évasion, de capture et de ré-évasion. La plupart des critiques américains ont accepté l’histoire comme authentique, bien qu’elle ait provoqué l’incrédulité chez certains lecteurs britanniques.
En 1939, le professeur d’anglais de l’Université Columbia, Charles Robert Anderson, publia Melville dans les mers du Sud, dans lequel il expliqua que Melville n’avait passé qu’un mois (au lieu des quatre mois déclarés par Melville) et qu’il avait commis de nombreux emprunts à de nombreux récits de voyage.
Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Typee