1869 : lèpre à Tahuata, alcool à Hiva Oa

San Francisco Chronicle Tue, Jun 08, 1869 

Daily Morning Chronicle, page 4

Îles Marquises.

Le brick missionnaire Morning Star est arrivé récemment à Honolulu depuis les îles Marquises, apportant des nouvelles récentes. Voici un résumé des nouvelles :

À Tahuata, le lieu de villégiature préféré des baleiniers, plus de la moitié de la population était atteinte de la lèpre, et elle se propageait très rapidement. Les capitaines de navires feront bien de prendre note de cela et « Give the island a wide berth in the future ».

Les missionnaires hawaïens indigènes étaient très bien et satisfaits de leur travail, et tout ce qui était lié à la mission semblait favorable. Le gouverneur français, récemment en charge des affaires dans le groupe des Marquises, a été rappelé et une nouvelle nomination a été faite. L’ancien gouverneur ne s’entendait pas avec les missionnaires catholiques et a réussi à se rendre odieux avec tout le monde. Pendant son administration, l’ivrognerie est devenue très répandue à Hiva-Oa, bien que, dit-on, il ne l’ait pas encouragée. Mais il est évident qu’aucun effort n’a été fait pour freiner ce vice. Cela a commencé de cette manière : une ancienne prophétesse, qui avait pendant des années possédé une autorité presque suprême sur Hiva-Oa, est décédée l’année dernière ; immédiatement après sa mort, il a été proclamé que le dieu était mort et que le tabou sur la consommation de rhum était levé. Les chefs ont alors donné l’exemple et ont permis à leur peuple de fabriquer et de boire des liqueurs en toute liberté. En conséquence, il y a eu de fréquentes perturbations et des guerres entre clans rivaux, entraînant généralement plus d’effusions de sang.

 « Give the island a wide berth » est une expression qui signifie éviter ou se tenir à l’écart. Elle est souvent utilisée dans le contexte de la navigation maritime, où une « berth » fait référence à la distance qu’un navire garde par rapport à autre chose, comme un autre navire, un quai ou, dans ce cas ici, une île. Ainsi, « give the island a wide berth in the future » signifie qu’à l’avenir, vous devez vous assurer de rester à bonne distance de l’île.  

Tahiahikoei Utu entourée de ses enfants à Nuku Hiva en 1884

Oscar Birger Ekholm : Expédition Vanadis, une circumnavigation ethnographique du monde 1883-1885

Tahiahikoei, la femme sur cette photo est originaire de la vallée de Taipivai à Nuku Hiva et serait née en 1838. Son mari était Houtu Ioteve Utu. Elle a dit-on appris à nager dans la rivière avant même de savoir marcher.

Lorsqu’elle avait 4 ans, la vallée de Taipivai comptait 5 000 habitants d’après Herman Melville. Lorsqu’il y avait un cortège pour un événement, la file pouvait s’étendre sur plus d’un kilomètre. Mais au cours et à la fin de son adolescence, la population de sa vallée est passée de 5 000 à 200 personnes.

Elle a eu une dizaine d’enfants, ce qui était un véritable exploit, car la syphilis très répandue à l’époque rendait les femmes qui survivaient à la maladie, stériles.  

Elle a eu trois filles qui se sont mariées et ont eu beaucoup d’enfants. Elle a donc beaucoup de descendants portant les noms de famille suivants : Teikitohe, Ah-Scha et Ah-Sam. Ses petits-enfants se sont mariés et ont eu beaucoup d’enfants, donc si vous consultez les généalogies de l’île de Nuku Hiva, vous trouverez probablement son nom tout au début d’une liste d’arrière-arrière-grands-parents. @ Daniel Longstaff

Enu Kahei écrit que Tahiahikoei Utu est son arrière-arrière…-grand-mère dont la fille Tahiapatuoho UTU et son mari AH SHA Meautahi sont les parents de sa grand-mère. Le patronyme UTU disparu est perpétué seulement aujourd’hui par les lignées AH SCHA, AH SAM et TEIKITOHE.

Maunaiki Tavita déclare qu’elle porte le prénom de sa trois fois arrière-grand-mère qui était mariée à OTOMIMI, et pense que sur la photo Tahiahikoei Utu doit avoir 34 ans, sa fille Marie Antoinette TIAUI UTU, 7 ans, fut mariée par la suite à Kipiri Teikitohe.

Rapt & Esclavage en 1862

En quelque six mois, le rapt et l’esclavage de plus de 3000 Polynésiens dans de nombreuses îles,  a détruit profondément  cette civilisation car les pertes humaines ont été une perte considérable de leur histoire mémorielle étant donné que ces civilisations étaient jusqu’alors de transmission orale, laissant alors la porte ouverte aux colonisateurs occidentaux pour installer leurs systèmes administratifs, économiques et religieux…

Mondialisation pour le bonheur des uns et le malheur des autres.


Ce principe guiderait-il l’équilibre des échanges commerciaux et mondiaux ?
Une sorte de jeu « qui gagne un peu, perd beaucoup » ? Jusqu’à en perdre la vie ?
La lettre que Mr Verger, propriétaire terrien à Bois-Groland, transmet le 23 août 1857, au Président de la section d’agriculture de la Vendée, informe sur les avantages du guano du Pérou ; engrais encore peu usité dans le département, tandis qu’il a fait la fortune des agriculteurs anglais, et qu’il est employé avec tant de succès dans les départements limitrophes la Mayenne et la Sarthe. Mr Verger souhaite que le gouvernement autorise l’introduction du guano en franchise, dans tous les ports de la France, même par navires étrangers.
Le guano, « wanu » en langue quechua, est un engrais naturel utilisé depuis des siècles par les paysans péruviens. Rapporté en Europe en 1802 par l’explorateur Alexander von Humboldt, le guano est, à partir de 1840, qualifié d’engrais biologique extraordinaire. Dès 1845 son exploitation commence sur les îles Chincha.
Pour le Pérou, pays en très grandes difficultés financières, c’était l’occasion de faire rentrer de l’argent, beaucoup d’argent. Ces îles sont recouvertes jusqu’à 40 m de guano, des siècles de fientes. Exploiter cette ressource devient une priorité. Au XIXe siècle, tout le monde cherche de l’engrais pour améliorer le rendement des cultures.
Les ressources des îles Chincha, trois îles minuscules au large de la côte sud-ouest du Pérou, sont alors livrées à l’exploitation intensive du guano, plus de 12 millions de tonnes. Les courants de l’océan Pacifique qui entourent ces îles sont riches en plancton. Toute cette zone très poissonneuse est ainsi la principale source d’alimentation des milliers d’oiseaux marins vivants sur les îles. Fous de Bassan, cormorans de Bougainville, mouettes… viennent y chercher leur nourriture et nicher.
Le sol de ces îles, granitique et de ce fait imperméable, explique la présence de telles quantités de guano ; comme il pleut rarement, le lessivage des fientes est limité. Malgré la petite taille des îles, on installe un petit chemin de fer, des rampes d’accès aux dizaines de bateaux qui vont transporter le guano en passant le cap Horn.

Chinamen working guano Chincha Islands entre 1862 et 1865
Henry de Witt Moulton – BNF

Les ouvriers recrutés pour extraire le guano, avec la promesse d’un avenir radieux et des salaires mirobolants, sont logés dans des taudis. Ils sont nombreux à venir du sud de la Chine pour travailler dans des conditions dangereuses et déplorables. Ils seront nombreux à mourir sur le chantier ou à se suicider en se jetant du haut des falaises. Tous extraient le guano à la main, puis l’engrais est transporté dans des brouettes jusqu’à des wagonnets qui prennent la route du quai.
L’ingénieur Louis Simonin, qui s’est rendu aux îles Chincha décrit les conditions terribles d’abattage du guano par les ouvriers chinois : « La poussière, l’odeur, sont capables d’asphyxier un novice. Il est impossible, pour qui n’y est pas habitué, de s’arrêter une heure devant les exploitations. Vous avez beau mettre un mouchoir sous vos narines. L’odeur pénétrante de l’engrais l’emporte, et de plus une poussière jaune, saline, s’étale avec complaisance sur votre visage et vos habits. »
En 1862, comme les entrepreneurs qui exploitent le guano manquent de bras, l’état péruvien accepte de confier à des aventuriers la mission d’aller chercher de la main-d’œuvre dans les îles océaniennes. Ils capturent et déportent des centaines de Polynésiens, notamment des Pascuans. On assiste à la même chasse dans tout l’océan Pacifique sud où des esclaves du guano sont capturés.
Selon l’historien américain Henry Evans Maude, 37 navires affrétés par le gouvernement péruvien ont « recruté » 3600 Polynésiens dont 1/3 capturés et embarqués de force avant d’être enfermés dans les cales de ces bateaux-prison.
Le Pérou abolit en 1863 le trafic d’esclaves océaniens, mais certains bateaux arrivent encore chargés de familles entières enrôlées ou capturées. Les Polynésiens débarqués sont entassés dans des lieux immondes. Beaucoup meurent d’une épidémie de variole apportée au Pérou par les équipages de baleiniers américains.
Les Polynésiens survivants sont rapatriés dans leurs îles, mais ils emportent avec eux la variole qui fera aux îles Marquises plus d’un millier de morts à Nuku Hiva, six cents morts à Ua Pou… À Rapa iti, la variole décime les 3/4 de la population. Sur l’île de Pâques, la population est réduite à quelques dizaines d’individus après l’épidémie.
L’exploitation intensive du guano s’est arrêtée en 1879 au Pérou, et partout ailleurs à la fin du XIXe siècle, les engrais chimiques l’ont remplacé.

Loading cars with guano, Chincha Islands- entre 1862 et 1865
Henry de Witt Moulton BNF

Cependant l’exploitation du guano continue au Pérou. Le gouvernement péruvien exploite encore une vingtaine d’îles le long de la côte du pays. Rodrigo Gomez Rovira, de l’agence Vu, a photographié les forçats du guano aux îles Chincha en 2014.
Il décrit des conditions de travail très dures. La journée commence à 4h du matin et se termine vers midi afin d’éviter les fortes températures qui peuvent grimper jusqu’à plus de 35 degrés dans la journée. La chaleur, la poussière, l’effort physique, l’isolement, depuis des générations les modalités de l’exploitation au Pérou n’ont pas changé. Le travail n’est toujours pas réalisé par des machines mais uniquement grâce à la force humaine, les hommes continuent de gratter le guano et le mettent dans des sacs.

West Point of North Island, Chincha Islands- entre 1862 et 1865
Henry de Witt Moulton BNF

Les paysans vendéens, sarthois ou mayennais, anglais et américains qui ont profité du guano pour obtenir de meilleurs rendements agricoles à moindre coût, ignoraient l’enrôlement des Chinois, les captures des Polynésiens, l’enfer que vivaient ces forçats du guano, la mortalité liée à l’insalubrité de leurs conditions de travail et d’hébergement, l’épidémie mortelle de variole arrivée au Pérou par les bateaux en provenance de l’Amérique du Nord. Ils ignoraient la grande mortalité induite par la variole dans de nombreuses îles du Pacifique sud lors du rapatriement des survivants des îles Chincha. Les Polynésiens n’étaient pas vaccinés ni immunisés contre les maladies contagieuses occidentales. En 1920, il ne restait que 2000 âmes aux îles Marquises sur une population estimée plus d’un siècle auparavant à 80 000 personnes ou plus.

View of the Great Pier, with shipping waiting for guano, Chincha Islandsentre 1862 et 1865
Henry de Witt Moulton BNF

Alors qu’en est-il aujourd’hui de notre ignorance au sujet de l‘exploitation de l’homme dans cette gigantesque mondialisation, d’une toute autre dimension que celle du XIXème siècle ? L‘information circulant à la vitesse de l’électricité, nous sommes informés de l’exploitation des adultes et des enfants dans l’extraction des terres rares pour les batteries de nos appareils et machines ; de l’exploitation des adultes et des enfants dans certaines industries textiles à très faible coût, dans les exploitations de l’agriculture commerciale sur quelques continents. Un geste pour la Planète ne serait-il pas de contrecarrer la mondialisation des catastrophes et commencer par sauver les hommes ?


Copyright René DOUDARD janvier 2024

L’atelier du peintre, Gauguin n’est plus

La vie devant du côté de Koke

Ces deux photographies [© René DOUDARD] ont été prises à l’occasion des cérémonies du trentième anniversaire de la disparation de Jacques Brel. Mise en scène dans l’atelier de la Maison du Jouir – Atuanoa, Hiva Oa 2008

Souvent, pour honorer l’homme occidental, l’atelier, s’anime le temps d’un voyage d’une imagerie exotique et figée, celle du vieux sauvage de la maison du jouir. L’heure ne serait-elle pas à tourner la page et laisser les jeunes Marquisiennes choisir enfin, à l’aube de leur civilisation retrouvée, d’autres rivages.

Mlle Helena Vaatete, a pris la pose, un instant pour des personnalités de passage. Stéphanie Ariirau Richard invite ses sœurs à descendre du tableau :

Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus. 
Tranchons la mangue, observons son plus beau profil, et son noyau fibreux et brun, comme la couleur de nos vies. Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus.
Marchons pieds nus, sur la terre, jusqu’au sable,
tranchons la vie et son plus beau profil, jusqu’à son noyau pourpre, comme la couleur de ta robe.

Regarde-moi, ma sœur, Gauguin n’est plus, Gauguin est mort.
Courons ensemble, jusqu’à l’océan et goûtons le sel porté par les vents, tranchons la mer, caressons son plus beau profil, couleur aubaine, comme la couleur de nos vies.

Gauguin est mort, Gauguin n’est plus,
tranchons les silences, observons leurs plus tristes profils,
effleurons des doigts leurs noyaux fibreux et tristes,
couleur ébène, comme la couleur de tes cheveux.

Femme à la mangue, Vahine no te vi, Paul Gauguin, 1892 Tahiti, Baltimore Museum of Art

Huile sur toile Tahiti – Portrait de Tehamana en robe européenne du dimanche. Harmonie de couleurs orchestrée autour du jaune de chrome intense du mur à l’arrière-plan et du violet de la robe Les cheveux dénoués et parés de fleurs de tiaré blanches confèrent un caractère sensuel à ce portrait d’une femme tenant un fruit mûr. Gauguin a accusé les rondeurs du corps de Tehamana qui est enceinte. La mangue est un symbole de fécondité.

Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus,
et nous ne sommes plus figées comme des natures mortes,
filles amères, lorsque nous sommes jeunes,
femmes sucrées, lorsque nous sommes mûres,
nos mafatu boum boum à travers l’univers,
sans prétendre immortaliser ce que le Créateur peut nous reprendre.

A chaque instant, le monde bouge,
il tranche la mangue,
amère ou sucrée,
jusqu’à son noyau fibreux.

Regarde-moi, ma sœur.

Lire le texte original et avec elle goûter la mangue sur son blog d’écrivain.

Deux femmes Paul Gauguin 1901 ou 1902 MMA New York

Gauguin a basé cette formidable composition sur une photographie de deux femmes assises côte à côte sur le perron d’une maison. Il l’a peint juste avant ou après son départ en 1901 de Tahiti pour les îles Marquises.

Miss Marquises 2003 Hivanui Vaikau

Photographie prise devant la reproduction du tableau de Gauguin Maison du jouir Atuona Hiva Oa