L’atelier du peintre, Gauguin n’est plus

La vie devant du côté de Koke

Ces deux photographies [© René DOUDARD] ont été prises à l’occasion des cérémonies du trentième anniversaire de la disparation de Jacques Brel. Mise en scène dans l’atelier de la Maison du Jouir – Atuanoa, Hiva Oa 2008

Souvent, pour honorer l’homme occidental, l’atelier, s’anime le temps d’un voyage d’une imagerie exotique et figée, celle du vieux sauvage de la maison du jouir. L’heure ne serait-elle pas à tourner la page et laisser les jeunes Marquisiennes choisir enfin, à l’aube de leur civilisation retrouvée, d’autres rivages.

Mlle Helena Vaatete, a pris la pose, un instant pour des personnalités de passage. Stéphanie Ariirau Richard invite ses sœurs à descendre du tableau :

Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus. 
Tranchons la mangue, observons son plus beau profil, et son noyau fibreux et brun, comme la couleur de nos vies. Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus.
Marchons pieds nus, sur la terre, jusqu’au sable,
tranchons la vie et son plus beau profil, jusqu’à son noyau pourpre, comme la couleur de ta robe.

Regarde-moi, ma sœur, Gauguin n’est plus, Gauguin est mort.
Courons ensemble, jusqu’à l’océan et goûtons le sel porté par les vents, tranchons la mer, caressons son plus beau profil, couleur aubaine, comme la couleur de nos vies.

Gauguin est mort, Gauguin n’est plus,
tranchons les silences, observons leurs plus tristes profils,
effleurons des doigts leurs noyaux fibreux et tristes,
couleur ébène, comme la couleur de tes cheveux.

Femme à la mangue, Vahine no te vi, Paul Gauguin, 1892 Tahiti, Baltimore Museum of Art

Huile sur toile Tahiti – Portrait de Tehamana en robe européenne du dimanche. Harmonie de couleurs orchestrée autour du jaune de chrome intense du mur à l’arrière-plan et du violet de la robe Les cheveux dénoués et parés de fleurs de tiaré blanches confèrent un caractère sensuel à ce portrait d’une femme tenant un fruit mûr. Gauguin a accusé les rondeurs du corps de Tehamana qui est enceinte. La mangue est un symbole de fécondité.

Regarde-moi, Gauguin est mort, Gauguin n’est plus,
et nous ne sommes plus figées comme des natures mortes,
filles amères, lorsque nous sommes jeunes,
femmes sucrées, lorsque nous sommes mûres,
nos mafatu boum boum à travers l’univers,
sans prétendre immortaliser ce que le Créateur peut nous reprendre.

A chaque instant, le monde bouge,
il tranche la mangue,
amère ou sucrée,
jusqu’à son noyau fibreux.

Regarde-moi, ma sœur.

Lire le texte original et avec elle goûter la mangue sur son blog d’écrivain.

Deux femmes Paul Gauguin 1901 ou 1902 MMA New York

Gauguin a basé cette formidable composition sur une photographie de deux femmes assises côte à côte sur le perron d’une maison. Il l’a peint juste avant ou après son départ en 1901 de Tahiti pour les îles Marquises.

Miss Marquises 2003 Hivanui Vaikau

Photographie prise devant la reproduction du tableau de Gauguin Maison du jouir Atuona Hiva Oa

Iles Marquises : Les fortes intempéries sur Atuona (Hiva Oa) du 6 juin 2013 rappellent les inondations du 13 janvier 1903 dont témoigne Gauguin dans « Avant et Après ».

     Ce jeudi 6 juin au matin, la gendarmerie de Hiva Oa a informé la compagnie des Archipels que la commune subit actuellement de fortes pluies. (Texte et photos publiés avec l’aimable autorisation de Tahiti Infos)

Le passage par le pont menant à la vallée de Taaoa est impossible en raison des inondations. A 9h, c’était la totalité du centre du village de Atuona qui se trouvait sous l’eau. « On peut dire qu’il y avait à peu près 50 cm d’eau, ce qui ne s’était pratiquement jamais vu. » Nous expliquait le maire de Hiva oa, Etienne Tehaamoana, joint ce matin-même par téléphone. Le village est envahi d’eau de part en part. Des troncs d’arbres avaient obstrué les deux rivières du village, dont le plus important profond de 6 mètres environ, c’est dire l’importance de l’intempérie.

Actuellement, la commune, l’équipement, le GSMA et la population unissent leurs moyens respectifs pour rétablir la circulation qui a été interdite ce matin vers 7 h par le maire lui-même : « Je demanderai aussi au Service du Développement Rural d’aller voir dans les autres vallées au cas où il y aurait des déblaiements à effectuer ». Ce dernier avait également transmis des consignes d’évacuation aux écoles. Les enfants devaient être placés en lieur sûr en attendant d’être reconduits chez eux par le bus communal. Mais là encore, la prudence était de mise : « J’ai demandé aux chauffeurs de faire attention au moment de passer sur les ponts car il y a eu des éboulements de grosse pierres que l’on ne voit pas car elles sont sous l’eau ».

Etienne Huukena, ancien directeur du foyer Ioakimi, confirmait bien l’état de la situation : « Mon épouse travaille là-bas comme agent d’entretien. Elles et d’autres personnes ont, soudain, entendu un fort bruit sourd. Elles sont sorties à toute vitesse pour se mettre à l’abri. Les troncs d’arbres situés au dessus de la rivière Makemake, se sont effondrés, en même temps que des pierres. Les arbres et autres éléments ont bouché les bouches d’évacuation. C’était incroyable » disait-il la voix enrouée par l’émotion « ça aurait pu être plus grave ! ».

Au centre du village, les habitations ont été les premières touchées : « La clôture d’une maison d’habitation, située à proximité du magasin Gauguin, n’existe plus » ajoutait Etienne Tehaamoana. A l’heure où l’article est rédigé, la pluie a baissé d’intensité. « L’événement reste exceptionnel car nous n’avions jamais connu cela » nous confiait le maire avant de se rendre à la cellule de crise mise en place au Haut-Commissariat…

     ***

      in Avant et Après  de Paul Gauguin Edition 1923.

Suite à cette inondation, Gauguin offre à Tioka son voisin la moitié de sa propriété et meurt quelques mois plus tard.

RENCONTRES EN POLYNESIE Victor Segalen et l’exotisme : Abbaye de Daoulas, Chemins du patrimoine en Finistère du 22 avril au 6 novembre 2011

pages-de-212_4.1305368845.jpg

À l’extrême pointe de l’Europe et d’une péninsule étirée entre mer et océan, Chemins du patrimoine en Finistère réunit cinq sites patrimoniaux majeurs et tisse entre eux les liens d’une nouvelle politique culturelle.

Le projet culturel de « Chemins du patrimoine en Finistère » : la diversité culturelle

Dans un monde qui tend à uniformiser et à gommer les distances, les temps et les lieux, la question de la diversité est au cœur du projet culturel de l’Établissement public de coopération culturelle Chemins du patrimoine en Finistère. Cette question s’envisage dans le contexte de la Bretagne, d’une culture qui a su préserver ses traditions sans se départir d’une ouverture au monde et à la modernité. L’enjeu de ce projet réside dans ce double mouvement : le maintien d’un espace et d’un temps en prise avec l’ici sans oublier l’ailleurs, le proche sans oublier le lointain. La (re)connaissance des cultures est une condition de cette diversité.

Le projet ainsi défini donne un cadre aux expositions de l’Abbaye de Daoulas en même temps qu’il spécifie et oriente la « rencontre » des cultures autour du rapport à la fois banal et complexe entre le Même et l’Autre et la façon toute aussi complexe dont il peut être envisagé dans sa restitution aux publics.

En 2011, l’exposition « Rencontres en Polynésie, Victor Segalen et l’exotisme » aborde la rencontre avec l’Autre par le biais du premier grand voyage que fit l’écrivain breton en 1903-1904 en Polynésie.

Philippe Ifri, directeur général

segalen-lexotisme.1305369355.jpgGeorge-Daniel de Monfreid (1856-1929) Portrait de Victor Segalen, 1909 Huile sur toile Collection particulière. La toile peinte dans l’atelier de Monfreid, 4 rue Liancourt à Paris, représente Segalen lisant une Histoire de la Peinture française sur fond d’œuvres de Gauguin données à Monfreid : La Barque et l’Idole à la perle, bois sculpté à Tahiti, aujourd’hui au musée d’Orsay.

 

La pensée de Victor Segalen constitue un outil étonnamment actuel d’exploration pour la rencontre avec l’Autre. Il renouvelle radicalement la notion d’exotisme au début du 20e siècle et la modernité et la singularité de sa pensée persistent encore aujourd’hui. Très tôt dans son œuvre, il soulève le problème des cultures et des traditions extra-européennes en voie de disparition sous l’effet de la colonisation (poids économique et joug religieux imposés par les colons). La vision d’une culture en déclin (en l’occurrence les Maoris) lui fait « comprendre que, désormais, sa tâche sera de sentir et d’exprimer la saveur du Divers » en explorant le monde.

 

L’exposition met l’accent sur la période polynésienne de la vie de Segalen, avant ses grands voyages en Chine. Elle présente des œuvres et des objets européens, en dialogue avec des pièces venues de Polynésie, jouant la carte du « mélange d’exotismes ».

 

pages-de-segalen-lexotisme1.1305368891.jpgÎles Marquises Tiki, 19e siècle Boulogne-sur-Mer, Château-Musée. Cet objet a été offert par Ernest Hamy, fondateur du musée du Trocadéro, au musée de Boulogne en 1878. Il s’agit d’un magnifique exemple de tiki de bois au visage encore marqué par les ciselures du tatouage.

 

Le Breton débarque aux îles Marquises en 1903, il a vingt-cinq ans, et y découvre une culture pour laquelle il se passionne. Au contact de ses habitants, il élabore peu à peu une nouvelle conception de l’exotisme, qui trouve parallèlement sa source dans l’art de Paul Gauguin, profondément admiré par Segalen. Revêtant le costume de l’ethnologue, il écrit un roman publié en 1907, Les Immémoriaux, par lequel il tente de raviver les anciennes traditions polynésiennes qui sont, selon lui, sur le point de disparaître. À travers ce texte, Segalen donne la parole aux « naturels » eux-mêmes, qui témoignent dans le passé comme dans le présent des échanges et des relations qui se sont noués entre les indigènes et les « hommes à la peau blême ».

 

La Bretagne quant à elle apparaît comme le seuil de la découverte de lointains mystérieux, comme une première étape vers un retour aux origines, mythe très prégnant dans l’histoire de la pensée européenne dont Segalen ne se départit pas. Mais le désir de voyage et de confrontation avec le Divers naît aussi à cette époque d’un ensemble de phénomènes culturels et sociaux importants : la littérature et les arts orientalistes, les Expositions universelles, le développement de la philologie et de l’anthropologie.

pages-de-segalen-lexotisme-2.1305368918.jpg

L’exposition a pour ambition de vérifier la modernité des idées de Segalen au début du 20e siècle, dans un contexte colonial qui mêle conquêtes marchandes et territoriales et discours sur l’altérité. Elle invite également le visiteur à s’approprier ces idées pour évaluer leur résonance aujourd’hui. Elle souhaite enfin montrer la part de métissage qu’ont connue les sociétés des mers du Sud, sans nier la violence dont elles ont été les victimes.

 

Article publié avec l’autorisation des Chemins du patrimoine en Finistère

 

Exposition : du 22 avril au 6 novembre

  • Avril, mai, juin, octobre et novembre :

tous les jours (sauf le lundi) de 13h30 à 18h30

  • Juillet et août :

tous les jours de 10h30 à 18h30

  • Septembre :

jusqu’au 18, tous les jours de 10h30 à 18h30

à partir du 19, tous les jours (sauf le lundi) de 13h30 à 18h30

bracelets-de-cheveux-humains.1305372835.jpgÎles Marquises Bracelets de cheveux humains, vers 1840-1844. Rochefort, musée d’Art et d’Histoire. Ces pièces ont été rapportées par l’océaniste Pierre-Adolphe Lesson au 19e siècle. Les bracelets de cheveux (parfois ceux des victimes de guerre) servaient comme ornement de poignets des grands chefs, qui, par ce biais, s’accaparaient la force du vaincu.

Catalogue de l’exposition :

Rencontres en Polynésie – Victor Segalen et l’exotisme

Ouvrage sous la direction de Roger Boulay et Patrick Absalon

coédité avec l’Abbaye de Daoulas (Finistère)
Exposition à l’abbaye de Daoulas (Finistère) du 22 avril au 6 novembre 2011

Editeur : Somogy 192 pages, 160 illustrations broché avec rabats 22 x 27 x 1,6  cm Poids : 930 g  35 €

Code article ISBN-9782757204627 paru le 4 mai 2011.

Vous souhaitez trouver ce livre chez un libraire près de chez vous, cliquez ici

*

Dossiers Enseignant  Presse

 

Copyright Les chemins du patrimoine en Finistère

*

Marquises : « Mers du Sud, Jessie Aline Bee » au Musée Henri-Martin à Cahors ( 22 octobre • 24 décembre 2010)

jessie_bee.1285180706.jpg      Palette de Jessie Bee –  Esquisse à l’encre  – Collection Jean-Charles Blanc

 

 

Née en 1896 en Nouvelle-Zélande, à la suite d’une rencontre amoureuse que fit Paul Gauguin au cours d’une escale à Auckland en août 1895, Jessie Bee disparut en 1942.

Elle vécut une vie d’aventures entre New-York, Paris et Berlin et voyagea un temps dans les mers du Sud. Au cours de ses escales, précédéepar sa réputation, elle fut l’amie et parfois l’égérie d’artistes et écrivains tels Duchamp, Man Ray, Maugham, Murnau, Picabia, Breton, Matisse, Elshemius et d’autres encore…

Sans l’œil averti de Jean-Charles Blanc, les œuvres de Jessica Aline Bee -alias Jessie Bee seraient restées cachées ou du moins réservées à un petit nombre de privilégiés. En effet, l’artiste préféra renoncer un temps à sa « carrière » pour faire connaître dans les musées, les centres d’art et les galeries du monde entier, l’étrange découverte qu’il fit lors d’un voyage aux îles Marquises. C’est cette collection composée de planches archéologiques, croquis, planches photographiques, peintures, livres que Jean-Charles Blanc présentera aux côtés de ses propres objets pour la première fois aux visiteurs du musée.

 

 

Musée de Cahors Henri-Martin

792, rue Emile-Zola – 46000 Cahors

Tél. 05 65 20 88 66

musee@mairie-cahors.fr

Service éducatif : Tél. 05 65 20 88 68

Ouverture tous les jours de 11h à 18h (sauf mardi)

Dimanches et jours fériés de 14h à 18h, fermé le 1er mai

http://www.mairie-cahors.fr/musee

Source : Mairie de Cahors

brochure-romantiques-voyageurs.1285180976.pdf

l_affaire-jessie-bee.1293752268.avi

Gauguin : « Héritage et confrontation » un texte de Chantal Spitz

autoportrait-1903.1238972955.jpg

Où en sommes-nous cent ans après la question posée par Gauguin:
D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?

*

Paul Gauguin.      Ce nom avec lequel je suis entrée en collision dans mon enfance par la colère de mes parents fulminant contre l’état français      qui défigurait l’école centrale où ils avaient aguerri leurs intelligences      en lycée Paul Gauguin que nous devions fréquenter plus tard. «Ils osent donner le nom de ce satyre à notre école» avait tonné mon père      «un syphilitique» avait brusqué ma mère     «un sale type… quel exemple pour nos enfants» avait craché ma grand-mère.

Paul Gauguin.      Ce nom qui a      avec la litanie colonialement correcte des Bougainville Loti Melville Segalen      effacé le nom de nos ancêtres scandé par chacun des nœuds de nos aufau fetii aujourd’hui disqualifiés. Ces longues tresses de nape qui confortaient nos mémoires et portaient nos généalogies      pour nous enlacer dans notre histoire nous rattacher à notre fondement. Ces Bougainville Loti Gauguin Melville Segalen nous ligaturent désormais dans le mythe-carcan qui nous fige dans une sous-culture une sous-humanité      nouveaux noms d’un aufau fetii des temps modernes pour nous rattacher à notre nouveau fondement… peuple insouciant… peuple enfant.

Paul Gauguin.      Ce nom mythique porteur de multiples mythes déclinés «l’eden cannibale» de Melville «le mariage de Loti» «les immémoriaux» de Segalen      ces mythes réducteurs qui de la Nouvelle-Cythère à la maison du jouir nous établissent dans une identité immuable      immobile      nous réduisent au silence à l’absence      nous laissent sans voix sans consistance.      Peuple insonore.

Paul Gauguin.      Ce nom signé au bas d’un avis placardé dans les rues de Papeete titré «Tahiti aux Français»      ainsi rédigé      «Nous portons à la connaissance de nos compatriotes non enchinoisés qu’une réunion aura lieu le Dimanche 23 du courant à 8 heures 1/2 du matin dans la Salle de la Mairie      à l’effet de décider des mesures à prendre pour arrêter l’invasion chinoise»      une voix qui vomit lors de cette réunion du parti catholique un discours raciste contre l’immigration des Chinois qui compromet dit-il      «la vitalité de Tahiti: cette tache jaune souillant notre pavillon national me fait monter le rouge de la honte à la face.»     un colon qui condamne avec la société blanche européenne l’importance de la communauté chinoise      et anime une campagne virulente contre «la céleste invasion»      jaloux sans doute des succès financiers des Chinois qui excellent dans l’art du commerce.

Paul Gauguin.      Ce nom qui se confond avec les Marquises      à moins que ce ne soit le contraire      comme si une maison du jouir et une tombe avaient suffi pour effacer un peuple aux mille années de civilisation. La tombe de Gauguin est ainsi devenue une halte marquisienne incontournable au même titre que la tour Eiffel à Paris      naissant ce parau paari des temps modernes      «si tu n’as pas vu la tombe de Gauguin tu n’as pas vu les Marquises» à l’image du célèbre «si tu n’as pas vu la tour Eiffel tu n’as pas vu la France».

Lire la suite ici

_________________________________________________________________

Ce texte de Chantal Spitz, « Héritage et confrontation », a été lu par l’auteur  à l’Université de Polynésie Française en 2003 à Punaauia à l’occasion du colloque commémorant le centenaire de la mort de Paul Gauguin