Cabri, Kabris ; body trade…

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J. B. Kabri le Tatoué Dessin publié dans le livre de Von Langsdorff

Joseph KABRIS, était né à Bordeaux. – Sachant qu’on n’est pas prophète dans son pays, il se fait matelot et part. Ayant été capturé, on le jette dans les prisons d’Angleterre. Il obtient la faveur de monter à bord d’un bâtiment  baleinier qui se dirigeait vers la mer du sud. Ce bâtiment fait naufrage, va se briser sur les côtes de Noukahiva, (îles Marquises) dans le Grand Océan, et notre bordelais tombe dans les mains des anthropophages. Le feu est allumé, la broche va tourner, le casse-tête est levé sur Kabris, quand la jeune Valmaïca fille du roi des sauvages,  belle comme on l’est aux îles Marquises, pousse un cri de grâce : le pauvre Joseph est sauvé, il se précipite dans le bras de sa libératrice qui, sans plus de façon l’accepte pour époux.

Le roi de Noukahiva quoique mangeur d’hommes, était bon prince ; il prend son gendre en affection, lui fait cadeau d’un riche manteau royal d’écorce d’arbre doublé de fine mousse, et, avec air de bonté qui le caractérise, le tatoue lui-même sur la figure, sur le corps et partout, puis il le nomme grand juge de tout le pays.

Kabris s’acquittent admirablement de ses fonctions : il fait garrotter et battre les uns, griller les autres, ceux-ci sont jetés à la mer, ceux-là écorchés vifs, enfin jamais justice ne fut mieux faite ; le brigandage diminue, les mœurs s’adoucissent, Kabris est au comble de la gloire et du bonheur ; Valmaïca apprivoisée l’adore, et cinq ou six bambins tatoués s’élèvent autour de lui.

Un jour qu’il s’était endormi dans une de ses forêts et qu’il y rêvait délicieusement, le chevalier Krunsenstern, capitaine russe  en expédition dans ces parages, et à la recherche des objets curieux, l’aperçoit, le fait garrotter, conduire à coups de knout dans son vaisseau et l’emmène à St-Pétersbourg. La fille du roi se tordit les bras, pleura longtemps et pleure peut-être encore.

A St-Pétersbourg, Kabris à qui l’on n’avait pas permis comme cela se fait quelque fois, de vendre ses domaines en partant, devint simplement professeur de natation. Encore s’il avait pu avoir un seul instant seulement, le capitaine Krusenstern pour élève !  Il lui eut bientôt appris à plonger dans les eaux du Styx ; mais il n’éprouva pas cette douce satisfaction.

En 1817, à l’époque où quelques prisonniers français, tristes débris de nos formidables armées, quittèrent les déserts de la Russie pour revoir leur patrie, Kabris profita de l’occasion pour revenir en France. A Paris, ce genre de monarque  anthropophage faisant quelque rapprochement entre sa grandeur déchue et la restauration des Tuileries, et croyant peut-être que le roi était un peu son cousin, chercha et parvînt à voir Louis XVIII qui se contenta de lui faire donner quelque argent. Ayant eu ensuite accès près du roi de Prusse, il n’en obtint aussi qu’un léger secours. Revenu de sa méprise, désirant se rendre à Bordeaux pour delà, s’il le pouvait un jour, aller reprendre sa femme et ses dignités à Noukahiva, il mit, pour se faire un fond, la curiosité publique à  contribution. Il se fit voir à Paris, au Cabinet des illusions. Le pauvre diable ne pouvait mieux choisir, ce n’était plus que là qu’il devait en trouver.

Jusqu’à présent ces faits ne touchent pas à nos contrées, mais voici : Kabris continuant le cours de ses infortunes et ne gagnant que ce qu’il fallait pour vivre, tomba de ville en ville à Valenciennes.  Il y vint en septembre 1822 pour s’y montrer à l’époque de la foire. Ce membre d’une famille royale, dont les malheurs et les étranges destinées n’étaient pas assez connus, attirait peu de monde ; tandis qu’on se rendait en foule aux baraques de la ménagerie, de la jeune fille pesant 400 livres et du veau à trois têtes, ses voisins.

Ce fut alors, le 22 septembre, que je vis Kabris. Il était bien triste. Il parlait avec intérêt de sa femme, de ses enfants, même du beau-père ; il n’avait pas encore perdu tout espoir de les revoir, j’aurais désiré obtenir de lui de longs détails ; mais il était fort malade, et souffrait tant qu’il ne pouvait parler qu’avec beaucoup de peine : circonstance contrariante, car Kabris, et ce n’était pas le premier gascon à qui pareille chose soit arrivée, s’exprimait avec un air de vérité qui inspirait la confiance.

Le soir même de ce jour se sentant plus mal, il fit appeler un médecin. La mort n’en continua pas moins à aiguiser sa faux ; Valmaïca n’était plus là pour détourner le casse-tête, et le grand juge de Noukahiva rendit l’âme à Valenciennes, le 23 septembre 1822 à 5 heures du matin, âgé de 42 ans.

Ces détails ne sont pas oiseux ; ils pourraient devenir précieux pour l’épouse et les enfants de Kabris, si cette notice tombait entre leurs mains ; or il n’est pas impossible que les Archives aient un jour des abonnés aux îles Marquises.

Cette réflexion nous conduit à dire un mot de la sépulture de Kabris. Un amateur de choses rares avait fait quelques démarches pour avoir la peau de ce personnage, afin de le faire empailler. L’autorité informée de cette fantaisie, craignant qu’on exhumât clandestinement l’ex-ministre pour l’écorcher, prit ses mesures. On venait d’enterrer un vieillard de l’hospice de Valenciennes, Kabris fut mis au-dessus de lui, et sur Kabris on plaça le cadavre d’un autre vieillard du même hospice1. Ces renseignements deviendraient bien intéressants si les illustres descendants de Kabris, demandaient un jour sa cendre à l’Europe. A. L.

In « Les hommes et les choses du nord de la France et du midi de la Belgique publiés à Valenciennes au bureau des Archives du Nord N°9  – 1829 » ;


 1 Promenade au cimetière de Valenciennes, par Aimé Leroy, page 75

 

The case of the French sailor Joseph Kabris (1779?-1822) is less well known and reveals another side of the European fascination with the exotic. His adventures are narrated in a booklet of about fifteen pages, Précis historique et véritable du séjour e Jh. Kabris, natif de Bordeaux, dans les îles de Mendoça, situées dans l’Océan Pacifique. The misfortunes of Kabris began at the age of fifteen, when he was ship­wrecked off the coast of France. Taken prisoner by the English, he was held in a prison hulk at Portsmouth for fifteen months. In May 1795 he embarked on a whaleboat, and was shipwrecked for a sec­ond time near Santa Cristina (Tahuata) in the Marquesas Islands. He was a strong swimmer, and managed to save himself as well as an English companion named Robarts, who would later become his frère ennemi or ‘brother enemy’. The pair was found by a group of Marquesans who took them to Nuka Hiva, where they were condemned to death. They escaped the death sentence thanks to the daughter of the chief, with whom Kabris married and had children.

As son-in-law he received his first tattoo, a blackening of the skin around his left eye, a design called mata epo or ‘shitty eye. This tat­too is represented in Langsdorf’s portrait of Kabris. The next markings he received were suns on the upper and lower eyelids of the right eye, ‘that the people call mehama and which give me the title of judge’. In one version of his account Kabris spécifies that it was the chief himself who executed the first markings, the designs then being completed by a tattoo artist. In another version of the text he writes that they were not welcomed by the people until they had met the chief. He took them as friends, and after four months organised a tattooing ceremony, after which they could marry.

Having been integrated into the Marquesan tribe, Kabris fought for them in their battles with other groups. In one skirmish, he skilfully wounded an enemy chief with his sling and thereafter received a tattoo on his breast, becoming, according to his own account, ‘Chief of the guard and viceroy of the tribe’. He wrote that he lived happily m his royal family, enjoying the friendship of everyone. Kabris never mentioned Robarts. He was also tattooed, but lived on the opposite side of the island, in Tiahoe Bay.

On the 7 May 1804 a Russian ship arrived in Tiahoe Bay. Robarts offered his services to von Krusenstern, the captain of the vessel, and told him that he had been abandoned on the island by his former crew members for refusing to participate in a plot. He added that the French should not be trusted. The hatred evident between Kabris and Robarts, two Europeans so far from home, drove von Krusenstern to reflect upon the hostility of nations towards one another. The captain then met Kabris, whose good relations with the Marquesans proved useful. Langsdorf, a member of the crew, remarked that the Frenchman had a better knowledge of the island than his English cohabitant. The evening before the ship’s departure, Kabris was invited on board for dinner alone. Drunk on the liquor served to him by the captain, he fell asleep, and later awoke to find that the ship had set sail, and was now in the middle of the ocean. Whether it was to rid Robarts of his enemy, or because, as von Krusenstern later claimed, a sudden wind obliged him to leave, Kabris found himself removed from his adopted homeland. ‘The captain employed ail the ways to quiet me’, he wrote, ‘he told me that I was kidnapped to be presented to the Tsar Alexander as valuable object to stimulate his curiosity and to prove to him he had visited the people of remote islands’.

Kabris disembarked at Kamchatka at the end of 1804 (although this is not mentioned by von Krusenstern in his account) and travelled to St Petersburg to be presented at the Court of the Tzar. Alexander admired his tattoos and compensated him for the ‘inconvenience’ he had suffered. Although Kabris expressed a desire to visit his parents in Bordeaux, he was still in Russia m 1817, employed as a swimming instructor in the Naval School at Kronshtadt. In the same year he was received at the court of the French king Louis XVIII, who gave him some money intended to pay for a return voyage to the Marquesas.

The royal gift was insufficient, however, and Kabris began to exhibit his tattoos in the Cabinet of Illusions in Bordeaux and in other fairs around France in order to earn money for his passage. As an accompaniment to his exhibition, he sold a booklet printed in Paris and Rouen of which only four known examples survived. Three are in the National Library in Paris, and one in Geneva (there may be a further copy in Grenoble, but research in the two libraries of this town failed to uncover it). In addition, portraits of Kabris exist with his tattoos rendered in more or less exact detail. According to Picot-Mallet, who annotated the Geneva booklet, he was ‘a good sized man, very well built, with an agreeable physiognomy, a bit blackened by the climate, who intelligently answers any question which one asks him’. Kabris died on 23 September 1822 in Valenciennes, after a rapid decline into sickness and misery. Aimé Leroy, a local journalist who interviewed him just before his death, wrote : ‘This member of a royal family, whose misfortunes and strange fate were not well known, attracted few people, while the crowd flocked to the menagerie to see the 400 pound girl and the three-headed calf’. Leroy also recounts that when Kabris died an amateur collector of curiosities attempted to obtain his skin in order to stuff and mount it for display. His corpse was buried between two old men to protect it from such attentions. Leroy wrote : ‘This infor­mation could become very interesting if the illustrious descendants of Kabris one day demanded the return of his ashes to Europe’. The narrative of the skin-man merits some remarks. If his sad and romantic story can inspire an novel or a film, we can also see it as the intricate layering of different levels of captivity, symptoms of the occidental approach to the exotic body. Tattooed skin, engravings and narrative form an image in which illusion, theatre and power over the foreign body of an other are revealed.

Ahutoru and Omai were taken as strange bodies, bodies ‘wrapped in images’ (in reference to Alfred Gell). With unintelligible signs inscribed upon their skin, the image of their bodies was easily manipulated, enabling the creation of a ‘mediatic’ illusion, useful to a representation, to a fashion of tattooing (the word ‘tattoo’ originated from this time). The fascination Europeans had for tattoos could be read as symptomatic of the medium of the tattoo itself. Juliet Fleming says :

Caused by the introduction of a foreign body under the skin, the tattoo marks the self as foreign. It consequently stands as a ready figure for the border skirmishing that defines conceptual relations not only between the inside and the outside of the body, but also between the inside and the outside of social groups.

Kabris was a sailor, travelling the océans for a living. He did not leave France in search of an exotic dream. When he returned to Europe his Marquesan identity was a novelty in Russia, which had only recently ventured into the Pacific, a fact which may explain the motive for his capture. When he arrived in France, however, the myth of the Noble Savage had ceased to fire the imagination – it was later revived by the painter Gauguin. Kabris turned the myth inside out. Unlike the Tahitians, he could not be seen as an incar­nation of the myth and, paradoxically, his tattooed skin laid it bare. In contrast to Reynold’s portrait of Omai, in which the Tahitian is pictured in antique draperies, Kabris, a Marquesan, appears as not more than a veneer of wonder and delight. His tattoos define him as somewhere between the low-class disreputable sailor and the savage. In Bordeaux’s Cabinet of Illusions and in the fairs, he was a protagonist with and without costume, incongruous.

To be captive is to forfeit one’s power. Kabris claimed that he was a member of the Marquesan nobility, as indicated in the engravings.

His use of titles should be considered in the context of France at the time of the Restoration. Unfortunately ail his powers were compromised. The armour of his tattoos stripped him of his authority. The imprimatur of his Marquesan identity marked him as a stranger, his biographical trophies relegated to the status of a stuffed trophy for an amateur collector of the bizarre. He was covered and trapped by his own skin, by unreadable patterns. His honourable disfigurement was the mark only of the high status of a Marquesan chief. He had become a monster in his own society and ended up with the monsters in a menagerie of anatomical and morbid curiosities.

It seems that the only power available to him lay in his own nar­rative. Inspired by the myth of a Pacific paradise, he modestly describes his experience as a life of happiness, also recounting tales of cannibalism (a practice in which, he makes clear, he did not participate).

In addition, his narrative includes interesting descriptions of Marquesan art and life. Even if the facts of his departure from Nuka Hiva conflict in the different versions of his story, it caused a literary stir. A sentimental poem, ‘Le départ de Joseph Kabris de l’île de Nouka Hiva’, signed M. C., is attached to the copy of his booklet in the Geneva library. Aimé Leroy described the capture thus :

One day, while he was sleeping in the forest and dreaming of delicious things, Krusenstern, a Russian captain who was exploring this country and researching curiosities, saw him, took him prisoner, and conducted him to his ship, whipping him along the way and sent him to Saint Petersburg. The daughter of the king wrung her hands, and cried for so long that she is perhaps still crying.

The life of Kabris was not unique. One can find a number of examples of Europeans who lived – willingly or unwillingly – among  different oceanic peoples during the early contact period, such as that of William Mariner in Tonga, and Barnet Burns in New Zealand.

In Body Trade: Captivity, Cannibalism and Colonialism in the Pacific de Barbara Creed, Jeanette Hoorn

Publié par Pluto Press Australia, 2001 ISBN 1864031840, 9781864031843 – 296 pages

http://books.google.fr/books?id=Y2G69AgxqxQC&dq=KABRIS+ROUEN&source=gbs_summary_s&cad=0

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Body Trade explores the history of the South Pacific traffic in human bodies from the eighteenth century to the present. Scholars from art history, cultural studies, anthropology, literature, and film examine the ‘captive body’ as it is represented in a range of media – from Captain Cook’s Journals and Melville’s novels to contemporary painting, popular culture, and such movies as Jedda, Meet Me In St Louis and The Murmuring. Revisiting Europe’s colonial project in the Pacific, Body Trade exposes myths surrounding the trade in heads, cannibalism, captive white women, the display of indigenous people in fairs and circuses, the stolen generations, the ‘comfort’ women and the making of the exotic/erotic body. This is a lively and intriguing contribution to the study of the postcolonial body.

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Marquises – Le puits de Taiohae

Dans Souvenirs d’un vieux Normand, William Leblanc raconte « …plus tard, nous construisîmes, sur le mamelon qui dominait le camp, le fort appelé Fort-Collet : Collet était le nom du commandant de l’Embuscade, qui fut le premier gouverneur de la nouvelle colonie.

Pendant que les équipages des différents navires allaient chaque jour à terre, par bordées, travailler avec les soldats de la garnison à la construction du fort, des casernes et d’un hôpital, j’avais été désigné pour accompagner l’ingénieur hydrographe dans ses opérations de triangulation de l’île, dont on voulait relever le plan.

Le jalonnement terminé, je fus envoyé à terre avec douze hommes pour commencer à défricher un jardin. Ce travail dura un mois. On ensemença le jardin de haricots et l’on creusa un puits. Trois hommes furent occupés à son entretien ; le reste de la garnison, aidé des équipages des navires, travaillait à la construction du fort dont j’ai déjà parlé. »

C’est Auguste, Joseph, François Marguet qui creusa ce puits. Né le 7 décembre 1815 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), il entre dans la marine en 1835 comme écrivain à Boulogne-sur-Mer et devient Commis de marine en juillet 1840 .

Le 28 novembre 1842 Baie de Taiohae (Iles Marquises) : Auguste Marguet écrit à son père à Boulogne-sur-Mer : « La santé est bonne. Je cultive un jardin qui fournit des légumes à l’équipage et j’ai creusé un puits de 10 m qui a excité l’étonnement de l’entourage et m’a valu les éloges de la part du gouverneur. » (Archives de la famille Marguet)

Foire agricole aux Marquises 2007

La première récolte aux Marquises (25 juin – 22 août 1843)

Plantes potagères et autres cultivées à Taiohaé

Les plantations et les semis qui ont été faits dans le jardin de l’établissement de Taïohaé, du 25 juin 1842 au 22 août 1843, ont présenté les résultats suivants, qu’on doit considérer comme satisfaisants, si on réfléchit que ce sont de simples essais confiés à des mains inexpérimentées, et nécessairement accompagnés de beaucoup de tâtonnements.

« Les choux, les navets, les carottes, les oignons, tes haricots, les tomates, les piments, les aubergines, toutes sortes de salades, les radis de toutes espèces, les melons, le maïs, les cardons, les asperges, les courges, viennent à merveille et produisent beaucoup.

« Les poireaux, les pois verts, les épinards, les betteraves, les salsifis, le céleri, les concombres, les pastèques, les pommes de terre, ne viennent encore que médiocrement.

«L’ail, l’oseille, les haricots blancs de Soissons, les fèves de marais, la moutarde, les artichauts, le panais, n’ont pas réussi jusqu’à présent.

«Plusieurs de ces plantes lèvent en quatre ou cinq jours, et n’ont pas besoin d’être garanties du soleil ; d’autres, au contraire, ont besoin, non-seulement d’être tenues à l’ombre, mais encore d’être arrosées une ou deux fois par jour.

«La vigne vient très-bien, mais pousse toujours, ce qui fait qu’elle donnera difficilement du raisin.

« On peut faire deux récoltes de pommes de terre par an. On fait plusieurs récoltes de maïs par an.

« Huit ou dix jours après avoir récolté toutes espèces de semence, on peut les mettre en terre ; elles poussent très-bien et ne dégénèrent pas.

« On peut faire jusqu’à quatre récoltés de tabac par an.

« En général, les fruits des Antilles n’ont pas encore réussi, non plus que le prunier et le pêcher. »

in Annales maritimes et coloniales Tome 83 Revue coloniale 1843

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« La France est trop riche, il faut bien lui laisser dépenser son argent » laissa échapper un Anglais à la nouvelle de notre prise de possession des Marquises. C’est ainsi que commence l’article d’un correspondant du journal – Le Constitutionnel – dans sa livraison du dimanche 16 novembre 1845. Dans une lettre datée du 5 avril 1845 et rédigée à Nuku Hiva, l’auteur informe ses lecteurs sur les coûts de cette occupation des Marquises et pronostique un faible retour sur investissement. Si en France, un bilan des premières productions du jardin de Taiohae fut publié en 1843 dans la revue coloniale (ci-dessus : Annales maritimes et coloniales Tome 83), on négligea de chiffrer les coûts de production. L’extrait ci-dessous illustre le propos en décrivant le maigre rendement de cette tentative d’implantation des légumes du vieux continent.

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From Marquesas Islands ; being letters written by Mrs. M.I. Stevenson during 1887-88, to her sister

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Télécharger ce livre : From Saranac to the Marquesas and beyond; being letters written by Mrs. M.I. Stevenson during 1887-88, to her sister, Jane Whyte Balfour, with a short introd. by George W. Balfour. Edited and arr. by Marie Clothilde Balfour (1903).

Lire les lettres écrites pendant le séjour aux Marquises : m-i-stevenson-lettres-des-marquises.1215771761.doc

Serveur : Canadian Libraries

Les tamanu centenaires de Hapatoni : chronique d’une mort annoncée

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     Tout le long de l’allée « de la Reine » au centre du village de Hapatoni, l’ombre des dizaines de vieux et énormes troncs de tamanu de plus de 80 cm de diamètre déborde sur l’océan.

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     La voie royale pavée fut aménagée sur la digue construite sur les ordres de la reine Vaekehu II au XIXième siècle.

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     Cet alignement, planté par les anciens il y a plusieurs plus d’un siècle, offre une protection certaine du village contre les assauts de l’océan et lui donne un charme romantique qui est loin de déplaire au passant.

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     Cet alignement a été gravement endommagé en 2003 lors de la construction de la route en arrière du village et du quai. Des remblais plus ou moins chargés de sel ayant été entreposés à la base des arbres ainsi que toutes sortes matériaux de construction nocifs pour cet environnement (bidons de gasoil, sacs de ciment…) ont très probablement et du fait de leur poids et de leur toxicité, tout simplement asphyxié les racines. Plusieurs arbres, parmi ceux situés à proximité du quai, sont aujourd’hui morts ou en très mauvais état de santé. 

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     Au-delà de la tristesse de voir cette beauté à jamais détruite par l’insouciance des hommes, le sort de ces arbres est paradoxalement d’une ironique déconcertante quand l’intitulé  des travaux est ce que chacun peut lire inscrit au chapitre 2  de la DELIBERATION N° 2000-118 APF DU 12 OCTOBRE 2000 portant approbation du contrat de développement 2000-2003 : « Aménager le territoire en préservant l’environnement et en mettant en valeur les ressources naturelles (…préservation et la mise en valeur du patrimoine naturel…) » : 8.3.4 Créations et aménagements d’unités portuaires – Quai de Hapatoni 90 MFCP

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Itinéraire historique et littéraire : Sur les pas de Max Radiguet dans la vallée de Hakaui à Nuku Hiva

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     Dans l’ouest de Nuku Hiva, au fond de la vallée d’Acauï(1), deux murailles basaltiques, qu’on dirait sillon­nées, déchirées par les puissantes tarières et les pics de mineurs plutoniens, s’élèvent hardiment à une hauteur énorme, et forment un étroit défilé. Rien de sinistre comme cette gorge aride et solitaire. À la base des grises falaises, dont la mince lame azurée du ciel sé­pare à peine les fronts sourcilleux, le sentier rocheux se tord vague­ment, éclairé par un jour terne. Dès qu’on pénètre dans ce défilé, le bruit des pas résonne d’une façon lugubre comme dans une crypte funèbre, et, lorsqu’on s’arrête, on entend un mugissement pareil à celui qui sort d’un gros coquillage appliqué à l’oreille.

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A la ra­dieuse verdure qui réjouissait la vue succède la sombre et morne couleur bleuâtre de ces escarpements ignés : la chaleur accablante qui accompagne l’ascension fait brusquement place à des courants d’air, et l’on se sent pris de ce frisson glacial qu’une énergique ex­pression populaire qualifie de souffle de la mort. On n’est plus dès lors sous l’équateur, mais dans une gorge abrupte des contrées sep­tentrionales ; on éprouve une indicible envie de revoir le soleil : par­tout le roc surplombe, immense, inaccessible, et le regard inquiet monte en se heurtant aux parois resserrées jusqu’à l’étroite bande bleue du firmament.

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On avance encore, une eau verte comme l’ab­sinthe coule silencieusement jusqu’au point où, rencontrant des ob­stacles, elle se brise avec fracas, rejaillit en éclaboussures sonores et continue sa course écumante (2).

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     Je parcourais seul ce paysage, ayant devancé mon compagnon de promenade, que retardait je ne sais quel hasard de la chasse, et je m’assis au pied des gigantesques murailles. J’attendais en proie à cette vague tristesse que fait d’ordinaire entrer au cœur le sévère et imposant aspect des sites sauvages et solitaires.

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On avance encore, une eau verte comme l’ab­sinthe coule silencieusement

Soudain deux phaétons sortis je ne sais d’où jetèrent sur ma tête leur cri plaintif ; un coup de feu tiré par mon compagnon retentit à quelques pas, et l’un des oiseaux tomba à mes pieds les ailes ouvertes. Une nuée d’oiseaux de mer effarouchés tourbillonnèrent aussitôt, surgissant des fentes du roc avec des piaillements aigus ; mais un cri de terreur poussé en même temps, et cette fois par une poitrine humaine, domina le bruit. Le chasseur m’avait rejoint.

Inquiets tous deux et cherchant d’où pouvait venir cette clameur désespérée, nous aperçûmes enfin, à une hauteur de quatre-vingts ou cent mètres, un canaque dont la couleur se confondait avec celle de la pierre. Immobile, les bras ten­dus, le dos scellé au mur, le malheureux, croyant qu’on en voulait à ses jours, nous contemplait effaré. Sa pose étrange à cette hauteur et au milieu de ce tourbillon ailé nous fit songer à Prométhée enchaîné sur le Caucase. – Voilà un habile et intrépide dénicheur d’oiseaux, me dit mon compagnon. – Hè ! pi mai (viens ici). – Le canaque ne bougeait pas. – Pi mai, répéta l’autre, joignant le geste à la parole, et lui montrant l’oiseau mort pour le rassurer.

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Alors, comme si ses mains eussent été armées de griffes, nous vîmes le canaque se mouvoir, glisser collé contre le rempart vertical

Alors, comme si ses mains eussent été armées de griffes, nous vîmes le canaque se mouvoir, glisser collé contre le rempart vertical et à peine acci­denté, tantôt se suspendant à des saillies presque invisibles pour nous, tantôt enfonçant ses doigts et la pointe de ses orteils dans des fissures. C’était à faire frémir et à donner le vertige, si bien que deux ou trois fois je fermai les yeux. Enfin il sauta à terre, et nous respirâmes. – Tabaco, fit-il en nous abordant. – Oui, si tu veux retourner prendre un nid d’oiseau. – Nous désirions uniquement savoir s’il attachait de l’importance au périlleux exercice auquel il venait de se livrer. – Tapu ! nous dit-il. – Tapu ! mais alors que cherchais-tu donc là ? – Le kaha de ma femme, qui est malade. L’âme de notre petit enfant, continua-t-il, est venue lui dire qu’on avait caché le kaha dans son morai. – Où donc est le morai de ton enfant ? – Là-haut.

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Deux cercueils (pahaa) sont encore visibles dans les creux de la falaise

Et suivant la direction qu’il nous indiquait, nous aperçûmes dans la partie supérieure de l’escarpement quel­ques trous sombres d’où sortaient de fines baguettes blanches ornées de lanières de tapa (3). – Et l’as-tu trouvé, le kaha ? – Non ; aussi faudra-t-il bien que ma femme meure ! Et d’ailleurs, ajouta-t-il sim­plement, puisque le pahaa (cercueil) est prêt, pourquoi le corps le ferait-il attendre?

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A la ra­dieuse verdure qui réjouissait la vue succède la sombre et morne couleur bleuâtre de ces escarpements ignés.

(1) Hakaui

(2) Cette cascade se précipite de 650 mètres de haut. [Avec en réalité ses 350 m, la cascade de Vaipo est l’une des plus hautes du monde]

(3) C’est la qu’on dépose mystérieusement la nuit les enfants venu au monde avant terme. J’ignore comment on s’y prend pour accomplir la nuit ces périlleuses escalades, qui ne paraissent pas possibles, même le jour.

In Revue des deux mondes Sept-Oct 1859 – La Reine blanche aux Marquises. Souvenirs et paysages d’Océanie – II. Les moeurs des Insulaires et l’occupation de l’archipel, par Max Radiguet.

Photographies : Michel Musa

About Gauguin : Perhaps under these is the dust of the painter who, more than any other man, made the Marquesas known to the world of Europe.

   

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     A fairly broad trail wound about the hill, the trail over which the dead and the mourners go, and the way was through a vast cocoanut-orchard, the trees planted with absolute regularity lifting their waving fronds seventy or eighty feet above the earth. There was no underbrush between the tall gray columns of the palms, only a twisted vegetation covered the ground, and the red volcanic soil of the trail, cutting through the green, was like a smear of blood.

     The road was long and hot. Halting near the summit, we looked upward, and I was struck with emotion as when in the courtyard I saw the group of the crucifixion. A cross forty feet high, with a Christ nailed upon it, all snow-white, stood up against the deep blue sky. It was like a note of organ music in the great gray cathedral of the palms.

     Another forty minutes climbing brought us to the foot of the white symbol. A half-acre within white-washed palings, like any country graveyard, lay on the summit of the mountain.

    To find Gauguin’s grave we began at the entrance and searched row by row. The graves were those of natives, mounds marked by small stones along the sides, with crosses of rusted iron filigree showing skulls and other symbols of death, and a name painted in white, mildewing away. Farther on were tombs of stone and cement, primitive and massive, defying the elements. Upon one was graven, « _Ci Git Daniel Vaimai, Kata-Kita_, 1867-1907. R.I.P. » The grave of a catechist, a native assistant to the priests. Beneath another lay « August Jorss, » he who had ordered the Golden Bed in which I slept. Most conspicuous of all was a mausoleum surrounded by a high, black, iron railing brought from France. On this I climbed to read while perched on the points :

     « _Ici repose Mg. Illustrissime et Reverendissime_ Rog. Jh. Martin, » and much more in Latin and French. It was the imposing grave of the Bishop of Uranopolis, vicar-apostolic to the Marquesas, predecessor to Bishop le Cadre, who had no pride and whom all called plain Father David.

     Suddenly rain poured down upon us, and looking about to find a shelter we saw a straw penthouse over a new and empty grave lined with stones. We huddled beneath it, our faces toward the sea, and while the heavy rain splashed above our heads and water rushed down the slope, we gazed in silence at the magnificent panorama below.

     We were directly above the Bay of Traitors, that arm of the sea which curved into the little bays of Taka-Uka and Atuona. At one side, a mere pinnacle through the vapor about his throat, rose the rugged head of Temetiu, and ranged below him the black fastnesses of the valleys he commands. In the foreground the cocoas, from the rocky
headlands to the gate of Calvary, stood like an army bearing palms of victory. In rows and circles, plats and masses, the gray trunks followed one another from sea to mountain, yielding themselves to the storm, swaying gently, and by some trick of wind and rain seeming to march toward the cross-crowned summit.

     The flimsy thatch under which we crouched, put up only to keep the sun from the grave-digger, bent to north and south, and threatened to wing away. But suddenly the shower ran away in a minute, as if it had an engagement elsewhere, and the sun shone more brightly in the rain-washed air.

     We continued our search, but uselessly. Hohine and Mupui had advertisement of their last mortal residence, but not Gauguin. We found an earring on one little tomb where a mother had laid her child, and on several those _couronnes des perles_, stiff, ugly wreaths brought from France, with « Sincere Regrets » in raised beads, speaking pityfully of the longing of the simple islanders to do honor to the memory of their loved ones. But the grave of Gauguin, the great painter, was unmarked. If a board had been placed at its head when he was buried, it had rotted away, and nothing was left to indicate where he was lying.

     The hibiscus was blood-red on the sunken graves, and cocoanuts sprouted in the tangled grass. Palms shut out from the half-acre had dropped their nuts within it, and the soil, rich in the ashes of man, was endeavoring to bring forth fairer fruit than headstones and iron crosses. The _pahue_, a lovely, long, creeping vine that wanders on the beaches to the edge of the tides, had crawled over many graves, and its flowers, like morning-glories, hung their purple bells on the humbler spots that no hand sought to clear.

     Perhaps under these is the dust of the painter who, more than any other man, made the Marquesas known to the world of Europe.

In Frederick O’Brien 1919, White shadows in the south seas. Chapter XIV

La loi de déportation politique du 8 juin 1850 : des débats parlementaires aux Marquises

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Avant d’être la terre d’asile d’exilés volontaires de Gauguin à Jacques Brel, les Marquises furent entre 1850 et 1854 une terre de déportation politique. Dans quelles conditions, dans quelles circonstances cet archipel méconnu en France a-t-il pu être choisi par les dirigeants français pour devenir le lieu d’exercice de la déportation ? Pendant les premiers mois de 1850, ce choix a donné lieu au sein de l’Assemblée nationale législative à des controverses juridiques très argumentées et à des débats politiques passionnés. De grandes notions de droit sont abordées, la proportionnalité des peines, la non-rétroactivité de la loi, la suppression de la mort civile ; des principes touchant au fondement même de la peine de déportation, éloigner pour punir, punir sans soumettre au travail forcé, sont débattus ; des théories sont forgées visant à répondre aux questions récurrentes : comment punir dans l’éloignement des politiques, quel régime leur appliquer ? Après les Marquises, que reste-t-il de toutes ces réflexions, ces amendements, ces prises de positions, ces assauts d’éloquence, ces analyses savantes, ces rapports à la froideur toute juridique ? Et surtout, après les Marquises : comment a-t-on pu recommencer ?

Cet article est composé de deux parties :

1. Le vote de la loi de déportation politique du 8 juin 1850

2. L’application aux Marquises de la loi du 8 juin 1850

Auteur : Louis-José BARBANÇON  (version-imprimable.1202802323.doc )2006 

Victor HUGO et les îles MARQUISES ou le poète, le géographe et la politique

La scène se passe à Paris, à la Chambre des Députés le 5 avril 1850, loin, très loin, à des milliers de kilomètres de ce qu’elle est sensée montrer. Mais les acteurs s’emparent de la réalité géographique pour mieux faire triompher leur cause, et c’est Victor Hugo qui parle.

Au vrai, ce combat ne fait rien d’autre que concentrer en un jour et en un lieu, un débat qui court alors depuis trente ans au moins et qui n’est pas près d’être terminé. Mais ce jour-là, les cartes sont étalées et plusieurs histoires se nouent autour de la géographie océanienne. L‘histoire de la colonisation française dans le Pacifique Sud, d’abord, car il s’agit des îles Marquises, lointaine possession française depuis qu’en mai 1842 le Contre Amiral Dupetit Thouars y a hissé le pavillon national. L‘histoire de l’idée coloniale ou plutôt des idées coloniales car les acteurs sont nombreux, leurs jeux antagonistes et l’on se pose alors la question de savoir que faire de ces îles perdues. Mais aussi, ce jour-là, l’histoire de la colonisation pénale car il s’agit le 5 avril 1850 de faire des Marquises un lieu de déportation. C‘est ce que propose le ministre Rouher, c’est ce que combat Victor Hugo.

Pour lire la suite : v-hugo-les-marquises.1202804315.pdf

Auteur : Emmanuel VIGNERON Géographe l’Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération (ORSTOM) Papeete, 23-X-1985 in Bulletin de la société des études océaniennes No 10 / Decembre 1985

Lire aussi : La loi de déportation politique du 8 juin 1850 : des débats parlementaires aux Marquises